La fin du filtre gris neutre

Par Jean-Pierre Beauviala, membre consultant de l’AFC

La Lettre AFC n°262

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Attendue depuis trois ans, Panasonic a annoncé, le 3 février 2016 à San Francisco, l’industrialisation prochaine de capteurs d’images à séparation complète entre la fonction de conversion photons -> électrons opérée par une couche organique OPF*, et la fonction d’accumulation et éclusage des électrons assurée par le substrat silicium.

Cette annonce, après celle de Quantum InVisage**, laisse entrevoir l’arrivée de caméras numériques à "global shutter", acceptant des rayons très inclinés (moins de vignetage et pas de fausses couleurs dans les coins), de dynamique augmentée de trois diaphs (ce qui est considérable), et surtout, surtout, de sensibilité réglable.
On pourra enfin choisir les ISO comme au temps de l’argentique ; ce sera même mieux puisqu’il n’y aura pas besoin de changer de pellicule, une simple commande électrique – manuelle ou automatique – fera l’affaire. Plus aucun risque de voir déborder les réservoirs silicium sous les fortes lumières.

Petit rappel
Par grand soleil un photographe maîtrise l’éblouissement du capteur en jouant du diaph et du temps de pose. Comme la fermeture du diaph n’est pas toujours une bonne chose (la profondeur de champ n’est plus celle souhaitée, et la diffraction au delà de f/11 nuit au piqué des images), l’obturateur est là qui peut grimper au 1/3 000e de seconde.
Un cinéaste en revanche ne peut jouer de l’obturateur, cela produit des photogrammes si nets qu’ils ne permettent plus au cerveau de reconstituer la fluidité des mouvements. Pour que chaque photogramme porte le filé nécessaire, le temps d’obturation à 24 images/seconde doit être de 20 millisecondes.

Coincé qu’il est entre ces 20 ms, le f/4 +/- 2, et la sensibilité intangible des capteurs silicium***, ne lui reste qu’à insérer un filtre gris sombre (ND) dans le trajet optique.
Installé à l’avant de l’objectif d’une caméra reflex, le ND assombrit l’image de l’écran de visée au point que l’on ne voit plus grand chose ; interposé à l’arrière sur un barillet de densités étagées ou sur une vitre de transparence électro-variable, le filtre ND est nuisible à la FTM, nuisible à l’équilibre entre visible et infrarouge, et nuisible par les poussières qui s’y collent.
En 1985, pour une ethnologue qui ne voulait emporter au Niger que deux magasins film, que de la 250 ISO et pas de filtres gris, nous avions installé dans son XTR un obturateur à cinq pales caché sous le miroir reflex. (Voir planches brevet ci-dessous)
Sorti de sa cachette, il faisait ombre à la fenêtre de prise de vues, qui pendant les 20 ms réglementaires ne recevait plus que cinq expositions de 1 ms fondues en une seule de 5 ms ; la pellicule de 250 ISO n’en paraissait plus que 64.

Trente ans plus tard, Penelope Delta à viseur reflex et capteur numérique de 800 ISO souffrait du même problème, en plus sombre encore. La même solution s’imposait, le seul changement fut d’augmenter le nombre de pales pour obtenir une meilleure fusion entre images fugitives.
Sur les capteurs OPF, il doit être possible de simuler ce principe en activant la couche sensible par de courtes mises sous tension réparties sur les 20 ms de la captation. Seuls les photons arrivant pendant l’activation seront convertis, les autres seront perdus (par exemple, en appliquant vingt impulsions de 0,1 ms, la conversion n’ayant lieu que pendant 2 ms, la sensibilité sera divisée par dix). On ne connaît pas encore la méthode adoptée par Panasonic, est-ce en diminuant la tension de polarisation de la couche OPF (au risque de perdre en stabilité et rapport S/N), est-ce en appliquant un découpage temporel à la façon XTR ?

On le saura bientôt. Ce jour-là, il y aura immédiate disparition des tristes filtres gris et clair partage des responsabilités : au diaph la profondeur d’espace, aux vrais ISO l’exposition juste.

* Organic Photosensor Film inventé par Fuji (carbone + arséniure ou séléniure de terres rares).
** InVisage est une startup calfornico-taiwanaise qui travaille sur la même idée (https://www.invisage.com)
*** Le soi-disant réglage ISO des capteurs CMOS joue sur le gain des préamplificateurs, il n’empêche en rien la saturation du silicium.