La lumière intérieure d’"Andere Davanture"

AFC newsletter n°246

Pour évoquer le souvenir de la chef monteuse Andrée Davanture récemment disparue, Jean-Noël Ferragut, directeur de la photographie, témoigne.

Chère Mathilde,

Un photographe a dit un jour que ses plus belles images étaient non pas celles qu’il avait réussies, objets d’expositions et de publications, mais celles qu’il avait malencontreusement ratées et dont les scènes restaient gravées au plus profond de ses souvenirs. Laissant à des voix autrement pertinentes le soin de souligner qu’avec la récente disparition d’Andrée Davanture – Dédée pour les amis et connaissances – " une grande dame des cinémas d’Afrique " venait de s’éteindre, si je m’adresse à toi, c’est que nous partageons tous les trois, toi, elle et moi, une même passion, celle des images. Moi pour les fabriquer, elle pour les monter – avec du son évidemment –, toi pour les travailler.

En effet, toi que le hasard m’a permis un jour de faire la connaissance dans les locaux d’Eclair, à Epinay-sur-Seine. Alors que tu effectuais là-bas un stage de montage, tu découvrais, auprès d’Alain Guarda, étalonneur avec un E majuscule, le plaisir du travail des images – leur densité, leur contraste, leur colorimétrie –, contribuant ainsi à raconter des histoires. Il a su te divulguer les secrets des lumières de tirage, ajoutant et retirant ici ou là quelques points de rouge, de vert, de bleu ; te faire apprécier la qualité des noirs, profonds, sans dominantes, la qualité des blancs, purs, lumineux. Des blancs qu’Alain a dû savoir si bien battre en neige et faire monter que tu t’es laissée prendre, décidant alors que tu ferais de l’étalonnage ton métier !

Andrée, de son côté, dont la chaleur était si communicative, dont les valeurs humaines s’accompagnaient d’une telle douceur extrême, d’une générosité sans borne et de tous les instants. Tant en privé qu’à sa table de montage ou dans les pièces attenantes qui lui servaient de bureau ainsi qu’à ses proches collaborateurs, Nelly, Francis, Sylvie, Claude, Madeleine, Claire, Annabel, Stéphanie, et j’en oublie sans doute..., répondant sans hésiter à toutes les sollicitations du monde. Là où était en train de se faire, hors des sentiers battus, ce cinéma si différent, venu d’horizons parfois si lointains, qu’elle affectionnait tant, dans ce quartier cosmopolite situé entre la place de la République et le faubourg de Temple, aux beaux jours d’Atria. De ces moments-là, comment ne pas se souvenir ?

Un jour, au début des années 1990, où nous étions en train de préparer avec Gaston Kaboré son prochain tournage, au constat que le visage de la jeune protagoniste envisagée pour tenir le premier rôle féminin – affecté d’une étrange maladie durant une bonne partie du film –, était, de mon point de vue, un peu trop joufflu et arrondi, respirant la santé, pour " accrocher " au mieux la lumière, Andrée nous faisait remarquer, avec une malice bien innocente, qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter car ce qu’il fallait surtout voir en elle, c’était sa lumière intérieure...
Un autre jour, quelques années auparavant, alors que, de retour de Cannes où Yeelen (La Lumière), de Souleymane Cissé, avait été projeté, où sur le générique de fin, rédigé en bambara, non sous-titré, les fonctions de chacun disparaissaient derrière des mots écrits dans cette bien noble lange mais restant ignorées du commun des mortels festivaliers, les noms et les prénoms apparaissant étrangement " bambarisés ", comme par exemple Zan Misheli Humo, Zan Noweli Feragu ou Andere Davanture (prononcer " Andéré ", en roulant légèrement le r…), d’aucuns auraient pu être surpris, sinon, tel Jean qui pleure, s’en offusquer, Andrée, au contraire, reconnaissait volontiers s’en être amusée, et en souriait encore !

Cette façon de prendre ses distances à l’égard de choses ô combien futiles, cette manière d’être optimiste en principe au moment d’en aborder de plus sérieuses, n’ont-elles pas été, chère Mathilde, deux des lueurs reflétant la lumière intérieure qui aura émané de la vie de Dédée, ta rayonnante grand-mère ?

Jean-Noël Ferragut, AFC