La mémoire numérique n’est pas immortelle, prévient l’Académie

par Hervé Morin

AFC newsletter n°198

Le Monde, 3 avril 2010

Un rapport souligne le risque d’amnésie engendré par le vieillissement prématuré des supports de données numériques. « Les données que nous voulons garder vont-elles s’effacer ? »
Tel est le sous-titre d’un rapport commun des Académies des sciences et des technologies intitulé " Longévité de l’information numérique ", rendu public lundi 29 mars. On croit à tort que les données numériques peuvent être conservées indéfiniment.

Le rapport tord le cou à cette idée. Les supports numériques, qu’il s’agisse des disques durs, des mémoires flash, des bandes magnétiques ou des différentes générations de disques optiques, ont progressé en termes de capacité de stockage à court terme. Mais ils offrent de piètres garanties en matière d’archivage à long terme.
Les grandes institutions, comme la Bibliothèque nationale de France, l’Institut national de l’audiovisuel et les Archives de France, sont conscientes du problème et ont mis sur pied des stratégies actives de transfert et de duplication de leurs données. Le monde de l’entreprise a-t-il pris la mesure du phénomène ? Pas si sûr.

De 2 à 20 milliards d’euros par an
Quant au simple citoyen, il pense souvent que ses photos ou films de famille seront protégées d’un « crash » de disque dur s’il les copie sur des CD et DVD enregistrables. Or le Laboratoire national d’essai (LNE) a montré que certains lots pouvaient ne plus être lisibles au bout de quelques années seulement.
Sachant que plus de dix milliards de disques optiques sont produits chaque année dans le monde, l’effacement d’une fraction d’entre eux représente une perte de patrimoine non négligeable, met en garde le rapport. Ses auteurs ont calculé que, si chaque foyer français adoptait une démarche de conservation active (migration régulière vers des supports neufs), il faudrait débourser de 2 à 20 milliards d’euros par an, un « coût global très supérieur à ce que la plupart des acteurs imaginent aujourd’hui ».

Les solutions passives, qui misent sur des supports durables comme un disque en verre trempé, restent onéreuses. Aussi le physicien Franck Laloë et les académiciens Jean-Charles Hourcade et Erich Spitz plaident-ils pour un renforcement de l’effort de recherche, mais aussi pour la sauvegarde des compétences européennes tant dans le public que dans le privé, afin de faire émerger une offre industrielle crédible. Et ils recommandent, au niveau interministériel, l’élaboration d’ « une véritable politique d’archivage numérique ».

(Hervé Morin, Le Monde, 3 avril 2010)