"La paternité de l’image" en péril

Des propos de Stephen Goldblatt, ASC, BSC

Dans une série de onze entretiens recueillis à Plus Camerimage 2011 par la journaliste britannique Madelyn Most, des directeurs de la photographie font part de leurs réactions concernant l’impact des technologies numériques sur leurs responsabilités et leur travail au quotidien.
Nous publions ici la traduction en français des propos du DP américain Stephen Goldblatt, ASC, BSC.

Que nous aimions le film par amour, pour la texture ou pour l’émotion, C’EST FINI !

Le problème bien plus important n’est pas esthétique ou technique, c’est la manière dont le directeur de la photo établit, maintient et garde le contrôle du " look " jusqu’au résultat final. Vittorio Storaro appelle cela « la paternité de l’image » et elle a été mise en péril dès que l’intermédiaire numérique a fait son apparition.

Qui s’occupe des intérêts du directeur de la photographie ? Même avec l’ASC, la BSC et le syndicat aux Etats-Unis, les chefs opérateurs n’ont pas une représentation politique leur permettant de négocier leurs intérêts légitimes et cela a créé un vide que les producteurs et les sociétés de production sont toutes et tous trop heureux de remplir.

Bien souvent, elles se fichent du " look " des films. Tout ce qu’elles regardent, c’est l’argent. Les directeurs de la photo doivent se rendre indispensables. Ils doivent être meilleurs avec l’intermédiaire numérique que quiconque le Studio peut mettre à leur place, et ce de façon à ce que les producteurs ne pensent même pas à les remplacer par quelqu’un d’autre.

A mon avis, le syndicat s’en moque et l’ASC est principalement intéressée par la camaraderie et le côté artistique et pendant ce temps-là on se fait " baiser ". Vous n’avez pas à travailler dans une tente noire et nous devrions tous prendre la décision déterminée de ne pas être dans une tente. Je veux être au côté du réalisateur, toujours impliqué, à l’écoute et en contact visuel direct avec lui et les acteurs, c’est comme ça que je vois mon boulot. La technologie est disponible qui permet que tout soit transmis directement et précisément par la caméra.

De nos jours, sur certains films, il est possible que le superviseur des effets visuels assume une part plus grande que quiconque de cette paternité du " look ". Nous ne pouvons pas être les uns contre les autres, nous devons tous travailler ensemble car s’il y a conflit, c’est celui qui a le plus gros budget qui gagnera.

Ce qui me manque le plus, c’est l’attente – c’est toujours un mystère dans le cas du film – vous pensez savoir ce que vous allez obtenir, mais c’est bien meilleur que ce que vous attendiez, parfois bien pire, alors qu’en numérique vous savez à peu prés sur le champ ce que vous avez. C’est un énorme soulagement de ne pas avoir cette heure ou ces deux heures de rushes après une journée de 14 heures. Et vous n’avez pas ces horribles moments où le tireur ou l’étalonneur décide de ne pas faire ce que vous lui avez demandé.

Une grande partie de la peur est éliminée du processus. Je pense que nous pouvons être plus audacieux car le risque est MOINDRE.

L’avenir n’est pas nécessairement morose, nous pouvons aussi l’influencer, mais nous devons prendre la parole ou rendre l’âme.

(Merci à Jean-Marie Lavalou et Philippe Ros pour cette traduction de l’anglais)

  • Lire ou relire les propos en anglais des onze directeurs de la photographie.