Le CNC souhaiterait encadrer les cachets des stars du cinéma français

Par Grégoire Poussielgue

AFC newsletter n°248

Les Echos, 4 décembre 2014
Deux ans après la polémique lancée par le producteur et distributeur Vincent Maraval et presque un an après le rapport de René Bonnell, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) vient de prendre une résolution qui vise à encadrer les rémunérations des stars de cinéma. Une petite révolution, puisque c’est la première fois que des dispositions sont prises pour limiter les salaires des stars… et mettre fin aux dérives constatées ces dernières années.

Vendredi dernier, à l’occasion de son conseil d’administration, le CNC a entériné une modification de la politique de soutien dont bénéficient les producteurs de films. Concrètement, si la rémunération proposée à une star (acteur, réalisateur, scénariste…) dépasse un certain pourcentage du devis du film (voir graphique), le producteur ne pourra avoir accès ni à son compte de soutien automatique ni aux aides sélectives du CNC. Son risque sera donc plus élevé. En d’autres termes, s’il atteint, comme le dit le CNC, un « coût artistique disproportionné », le film sera privé des soutiens publics qui existent en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. « Cette disposition ne vise pas à empêcher les très fortes rémunérations. Mais si c’est le cas, le producteur devra aller chercher des financements ailleurs », note un spécialiste. Pour les films se situant entre 7 et 10 millions, la rémunération la plus élevée ne pourra dépasser 5 % du devis. Au-delà, la rémunération maximale est fixée à 990.000 euros, quel que soit le devis du film. Cette règle s’applique aux rémunérations fixes, et non à la part variable que peuvent toucher les stars en fonction du succès en salle.

Des cachets au sommet
Le but est de mettre un terme à l’inflation des cachets et, surtout, de faire revenir les rémunérations dans des zones plus compatibles avec le potentiel commercial des films. La dérive constatée depuis les années 2010 était forte. Selon le rapport rendu par René Bonnell début 2014, l’enveloppe allouée aux têtes d’affiche des films est ainsi passée de 49 millions en 2011 à 63 millions en 2012, soit une progression de 29 % ! Dans certains cas, les stars empochent entre 1 et 2 millions par film en cumulant parfois plusieurs casquettes (acteur, scénariste, coproducteur…) et donc plusieurs types de rémunération (salaire, droits d’auteur, intéressement aux entrées en salle…).

Les rémunérations de certaines stars du cinéma français ont parfois atteint des sommets, dépassant même, à l’occasion, les salaires de leurs homologues de Hollywood, alors que les films concernés sont loin d’atteindre les mêmes succès et la même aura internationale. Ainsi, selon Le Journal du dimanche, Dany Boon avait touché 6 millions pour Supercondriaque au titre de ses différentes casquettes pour un budget estimé à 31 millions, soit près de 20 % du total. Le film a très bien marché en France (5,2 millions d’entrées), mais sa carrière à l’international a été plus discrète. Une situation largement dénoncée par Vincent Maraval dans sa tribune de décembre 2012, qui a lancé toute une réflexion sur la nécessaire réforme du cinéma. Le volet rémunération n’en constituant qu’une partie.

Portée relative
Le marché a toutefois commencé à redescendre sur terre dès 2013, suite à l’échec de nombreux films " de stars ", comme La Grande boucle (14 millions d’euros de budget pour 260 000 entrées) ou Turf (23 millions d’euros pour 380 000 entrées), pour ne citer que les plus connus. Reste à savoir si ces mesures seront efficaces.
« C’est une bonne chose d’avoir un encadrement des rémunérations, mais ces mesures accompagnent une tendance à l’autorégulation que nous avons déjà constatée », analyse Jean-Baptiste Souchier, directeur général de Cofiloisirs, établissement de crédit spécialisé dans le cinéma. D’autres spécialistes estiment qu’elles ne changeront rien sur le fond. « C’est une mesure légitime, mais cela permet juste au CNC de ne pas cautionner certains films et la dérive de leurs coûts. Les plus gros films se feront quand même, avec les mêmes salaires, puisque les chaînes de télévision voudront les même acteurs », note un producteur.

Surtout, même s’ils ne peuvent pas mobiliser de soutien automatique en raison d’une dérive des salaires, les producteurs de films pourront en générer grâce à leurs entrées en salle pour financer leurs projets suivants.

(Grégoire Poussielgue, Les Echos, jeudi 4 décembre 2014)