Le Fil
Paru le Contre-Champ AFC n°358
Il m’a immédiatement dit vouloir un film formellement détaché de la réalité. Ses références cinématographiques étaient Autopsie d’un meurtre, d’Otto Preminger (1959), Le Verdict, de Sidney Lumet (1982) et plusieurs séquences de différents films de Clint Eastwood.
Pour compléter ces références, je lui ai montré des photos d’Harry Gruyaert, Saul Leiter et Dolorès Marat que je trouvais inspirantes pour ce film. Par chance, il y avait une exposition de Saul Leiter durant les Rencontres Photographiques d’Arles et nous avons pu nous y rendre ensemble. Ce travail de préparation nous a amenés à créer une atmosphère où chaque plan est pensé comme une photographie, où les couleurs jouent un rôle crucial, à l’image du travail de Gruyaert qui capture la vie urbaine avec une palette de couleurs vibrantes et une approche intimiste. Comme dans ces œuvres, Le Fil utilise la lumière et la composition pour créer des scènes presque picturales, où chaque détail raconte une histoire, et où le quotidien devient extraordinaire.
Je me suis servi des images caractéristiques de Saul Leiter pour marquer la vision qu’ont les différents témoins de l’histoire, une vision qui tend à l’abstraction, au ressenti plus qu’à la compréhension même.
À travers l’objectif de Dolorès Marat, le film explore également l’aspect plus onirique et poétique de la réalité, avec des images qui semblent baignées dans une brume de mystère et de nostalgie. Clint Eastwood, quant à lui, évoque le côté humain et brut du récit, ancrant les personnages dans une réalité palpable et émotionnelle, où les silences en disent parfois plus que les mots. Comme dans les meilleurs films d’Eastwood, Le Fil est une exploration des relations humaines, des non-dits et des secrets enfouis.
Ses plans larges ont été également une source d’inspiration.
Ainsi, une fois la direction artistique définie, j’ai commencé une série de tests, notamment pour trouver le meilleur couple optique/caméra pouvant répondre à mes besoins. Sam Renollet chez RVZ m’a proposé de comparer différentes séries d’optiques anamorphiques avec une Alexa 35.
C’était mon premier choix de caméra car je souhaitais expérimenter la texture proposée par Arri directement dans la caméra. Après avoir vu, avec Daniel, ces essais comparatifs, notre choix s’est porté sur la série Xelmus Apollo, en particulier pour le point minimum qu’elle propose et les artefacts qui allaient accentuer le côté abstrait que nous recherchions.
Grace à ces tests, j’ai pu également, avec Richard Deuzy, l’étalonneur avec qui je collabore depuis de nombreuses années, établir une LUT qui nous semblait répondre au mieux au projet. Cette LUT a été fabriquée avec l’aide de FilmBox, nous y avons ajouté une couche supplémentaire de texture suite au projections avec Daniel.
Par la suite, Olivier Patron, le DIT du film, a adapté au jour le jour cette LUT en fonction des séquences tournées.
Pour des questions pratiques, Daniel a souhaité tourner les intérieurs nuit de jour, j’ai donc opté pour des fenêtres gélatinées avec 2 x ND12 + 1 couche de Steel Green, j’ai utilisé des ampoules de 500 W ou même des Pars dans le champ pour figurer les réverbères.
Pour ce qui est de la méthode de filmage, Daniel souhaitait le plus possible tourner en plan-séquence pour privilégier le jeu des acteurs. Il était également assez attaché au fait de tourner avec une Dolly, j’ai donc cherché un compromis me donnant la souplesse nécessaire pour répondre à sa demande.
On a finalement tourné la plus grande partie du film avec un Stab One Mark II sur Dolly que je pilotais avec des manivelles, cela a très bien fonctionné notamment dans le tribunal où le sol était assez plat et nous a permis des mouvements improvisés en fonction du déplacement des personnages. Nous avons assisté à un procès durant une journée, Daniel et Fred Gérard, le 1er AD dans le tribunal où nous allions tourner. Cela nous a permis de mieux comprendre la logique de ce lieu, comment les différents protagonistes se tiennent et se déplacent. Cela a été très inspirant pour imaginer le découpage dans cet espace.
J’ai abordé ce décor où nous avons tourné presque trois semaines avec l’envie de faire évoluer la lumière pour raconter le temps qui passe durant les trois jours du film. Pour cela, avec Stéphane Bourgoin, mon gaffer pour ce projet, on a imaginé un plan lumière offrant pas mal de possibilités pour faire varier la lumière du jour : nuageuse, ensoleillée, couchante puis nuit.
Le Fil est ainsi un film qui se regarde comme une succession de tableaux vivants, où chaque image est une fenêtre ouverte sur les émotions des personnages, un voyage visuel et sensoriel à travers des inspirations photographiques et cinématographiques riches et variées.
J’ai pris énormément de plaisir à travailler avec Daniel Auteuil tant il est un maître dans la direction des actrices et des acteurs, et son enthousiasme à fédérer l’équipe comme j’ai rarement vu, ce qui n’a fait qu’augmenter ma joie d’être à ses côtés. Grégory Gadebois, que j’ai retrouvé après une collaboration il y a plus de dix ans, est un compagnon de jeu incroyablement intense et tout en gentillesse, de même Gaetan Roussel, nouveau venu dans cet exercice, a été totalement à la hauteur de son personnage.
- On pourra aussi Voir ou revoir l’entretien filmé avec Jean-François Hensgens réalisé dans le cadre du 76e Festival de Cannes où le film était présenté Hors compétition.
- Bande-annonce officielle :
Équipe
Première assistante opératrice : Judith TribaultDeuxième assistant opérateur : Gaspard Soboul
Chef électricien : Stéphane Bourgoin
Chef machiniste : Renaud Fidon
Technicien retour image : Titouan Penthier
DIT : Olivier Patron
Etalonneur : Richard Deusy
Technique
Matériel caméra : RVZ (Arri Alexa 35 et série anamorphique Xelmus Apollo) + Leica SL2-S personnelMatériel lumière : RVZ
Matériel machinerie : Transpa
Labo : M141