Le Jour où Dieu est parti en voyage

The Day God Walked Away

Paru le La Lettre AFC n°191 Autres formats

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Avril 1994. Rwanda. Aux premiers jours du génocide, les occidentaux fuient le pays. Avant d’être évacuée, une famille belge cache la nourrice de leurs enfants, Jacqueline, dans le faux plafond de leur maison.
Malgré la terreur, Jacqueline sort de sa cachette pour rejoindre ses enfants restés seuls. La jeune mère découvre leurs corps sans vie parmi les cadavres. Chassée de son village, traquée comme une bête, elle se réfugie dans la forêt.

Premier long métrage de Philippe Van Leeuw, Le Jour où Dieu est parti en voyage a été tourné à Kigali, capitale du Rwanda et dans la région du lac Kivu, près de la frontière du Congo et du Burundi. Marc Koninckx en a signé l’image et nous accorde un entretien à propos de ce « huis clos en extérieur ».

Comment s’est faite ta rencontre avec Philippe et pourquoi avez-vous choisi de travailler ensemble ?
Marc Koninckx : Je ne le connaissais pas du tout. Philippe étalonnait le film Les Bureaux de Dieu chez HoverlorD, à Liège, où moi-même je venais de finir l’étalonnage de Johnny Mad Dog. Il en a vu quelques images, m’a appelé.

Quels ont été vos partis pris artistiques ?
MK : Dès le départ, la position de Philippe a été très claire. Il ne voulait pas tourner en HD et avait une idée précise du format : le Scope.
Je lui ai proposé de tourner en Super 35, 3 perf, pour pouvoir utiliser des objectifs sphériques, permettant d’avoir plus de diaph, un matériel plus léger et donc plus adapté aux conditions extrêmes de tournage qu’on allait trouver en Afrique.
J’ai pris comme caméra la Moviecam MKII et une BL III en caméra de réserve. Finalement j’ai utilisé la BL III beaucoup plus souvent que prévu, en particulier pour tourner tous les plans à l’épaule, cette caméra étant plus compacte et mieux équilibrée. Pour les objectifs, mon choix s’est arrêté sur la série Ultra Prime.

Philippe voulait également une image assez sobre, réaliste et naturaliste.
C’est assez compliqué. Quand on se ballade au Rwanda, tout est beau, la forêt vierge, les lacs, le paysage des Mille collines. Alors, on tombe très vite dans le côté carte postale. Après des essais entre Fuji et Kodak, j’ai décidé de tourner en Fuji 400 ISO (Pastel). Cette pellicule est plus sensible au vert et a donc plus de détails dans ce spectre que la Kodak. Elle est aussi moins sensible au bleu, ce qui m’évitait des ciels trop bleus et de retomber dans le look " carte postale ".
Pour éviter du grain dans les hautes lumières (ce qui est assez typique pour cette émulsion), j’ai fait au labo un traitement " grain fin " d’un demi diaph. J’ai surexposé le négatif d’un diaph pour avoir un négatif plus riche et, pour certaines séquences, j’ai tourné sans filtre 85 pour désaturer encore plus. Le résultat est que la nature ne prend pas trop d’importance visuellement et que le regard est poussé vers nos deux personnages.

Marc Koninckx et Benoît Deleris, 1<sup class="typo_exposants">er</sup> assistant opérateur - Sur le tournage du <i>Jour où Dieu est parti en voyage</i> de Philippe Van Leeuw, à Kigali
Marc Koninckx et Benoît Deleris, 1er assistant opérateur
Sur le tournage du Jour où Dieu est parti en voyage de Philippe Van Leeuw, à Kigali

Quelles étaient les conditions de tournage ?
MK : Nous avions une équipe légère pour permettre de multiples déplacements dans la forêt et sur le lac Kivu. Ce nombre de personnes réduit était aussi une condition nécessaire pour préserver le cadre naturel qui nous servait de décor. Dans ces conditions, nous ne pouvions emporter que peu de machinerie et peu de lumière.
Pour le déplacement de l’appareil, on a élaboré un système, la caméra était suspendue sur une barre avec un élastique. Suivant la vitesse du mouvement, la caméra était portée par deux ou quatre machinos. Cette technique de portage fonctionnait vraiment bien, et cela nous a donné des images très vivantes, entre la caméra à l’épaule et le Steadicam.
J’avais aussi une Mini Jib qui me permettait d’être plus libre avec la caméra et de m’adapter au rythme de la comédienne.

Marc Koninckx maintient la "caméra supspendue" à une barre - Lors du tournage d'une scène de poursuite sur <i>Le Jour où Dieu est parti en voyage</i>
Marc Koninckx maintient la "caméra supspendue" à une barre
Lors du tournage d’une scène de poursuite sur Le Jour où Dieu est parti en voyage


Ruth Keza Nirere, séquence du marais - Sur le tournage du <i>Jour où Dieu est parti en voyage</i>
Ruth Keza Nirere, séquence du marais
Sur le tournage du Jour où Dieu est parti en voyage

Pour la lumière, ce n’était pas si simple. La plus grande partie du film est tournée en forêt avec des séquences très installées, parfois sur plusieurs jours dans le même décor. Evidemment, le soleil tourne. Pour garder une cohérence dans la direction de lumière, j’ai opté pour un système qui consiste à couper partiellement la lumière avec des tulles ou borniols. C’était assez assez facile d’accrocher tout ça dans les arbres.
Généralement je descendais le niveau de 2 diaphs. Au fur et à mesure que le soleil tournait, je retirais des couches ou je rééclairais les visages avec des petites sources. J’avais aussi un 2,5 et un 4 kW, un Joker 800 pour remonter le niveau général, c’est tout.
Pour des peaux noires, on arrive à créer une profondeur dans le visage en éclairant par réflexion, en utilisant des écrans blancs ou des draps.
Pour calibrer les reflets obtenus sur les visages, j’utile toujours un polarisant. C’est assez facile à doser.
Malgré le sujet, une femme qui fuit le génocide, ses enfants assassinés, j’ai essayé de renforcer à l’image, petit à petit, l’éventuelle renaissance de cette femme. Je tenais beaucoup à avoir cette brillance sur son visage. Cette étincelle éphémère qui peut faire basculer un destin.
Nous étions en étalonnage traditionnel ; Christophe Bousquet, de GTC, vérifiait le négatif et m’envoyait des photogrammes par Internet.

Comment se passe un tournage avec un réalisateur qui est aussi directeur de la photographie ?
MK : Ça s’est très bien passé, quoiqu’on n’ait pas du tout le même style de photographie ou de cadrage. Au départ, Philippe était très proche du cadre, techniquement parlant, puis il a laissé tomber pour se consacrer aux comédiens ; au bout d’une semaine, chacun avait son rôle.

Que représentent ce film et son sujet pour toi ?
MK : C’était indispensable de le faire. Tout d’abord je pense que des films sur des sujets pareils sont nécessaires pour ne pas oublier les horreurs qui ont été commises. Ce sont des témoignages et ils nous servent de mémoire. Quand on tourne dans des pays comme le Rwanda, on laisse derrière soi son confort habituel et on apprend beaucoup. On travaille avec des techniciens sur place avec lesquels on forme une équipe. Il faut s’adapter à leurs cultures et à leurs façons de fonctionner. On est souvent confronté à des situations ou problèmes imprévus. Je trouve qu’on se " surpasse " quand on arrive à trouver des solutions et aboutir au résultat qu’on avait imaginé.
Sur ce film, on travaillait avec des techniciens et des figurants qui avaient vécu l’horreur du génocide.
Ruth Nirere, qui joue Jacqueline, n’est pas actrice à l’origine, mais une chanteuse assez connue au Rwanda. Elle est extraordinaire, expressive dans son regard, présente. Elle a joué ce rôle qui était extrêmement difficile et délicat avec une grande justesse. Nous avons découvert une actrice remarquable !

Ruth Keza Nirere
Ruth Keza Nirere

(Propos recueillis par Isabelle Scala)

Équipe

1er assistant caméra : Benoît Deleris
2e assistant caméra : Yann Tribolle
Chef machino : Simon Van Leeuw
Chef électro : Lucillo Da Costa

Technique

Pellicule : Fuji 400 ISO Tungstène
Matériel caméra : Panavision Alga Techno, Moviecam MKII, Arri BL III, objectifs Ultra Prime
Laboratoire : GTC, développement grain fin 1/2 diaph
Etalonneur : Christophe Bousquet