Le Roi de cœur

Reprise à Paris le 30 août aux cinémas Reflet Médicis et Mac Mahon Une bonne nouvelle par Pierre Lhomme _ Fin août, ressortie d’un film qui fût chez nous en 1966 un échec impressionnant : Le Roi de cœur, une insolente comédie de Philippe de Broca.

Pour de nombreuses raisons, je suis très attaché aux souvenirs du tournage, à la fantaisie révoltée, aux dialogues sacrilèges de Daniel Boulanger, sacrilèges et étincelants, à la musique endiablée et romantique de George Delerue, aux cadeaux inattendus des acteurs : Alan Bates (cheville cassée dès la première semaine), Geneviève Bujold, Jean-Claude Brialy, Michel Serrault, Micheline Presle, Jacques Ballutin, Pierre Brasseur...

Phillipe et moi avons fait un long parcours côte à côte depuis Vaugirard, le service militaire et nos débuts de cinéastes. Il m’avait proposé ses premiers films comme chef opérateur mais je tenais à me familiariser avec le cadre, alors je lui ai recommandé Jean Penzer dont j’avais été l’assistant avec plaisir et qui était devenu un ami.

Le Roi de cœur un Ovni à découvrir absolument. Son échec a porté un mauvais coup aux projets de de Broca producteur. Les droits ont été vendus aux U.S.A. où le film a fait une carrière inimaginable : 9 ans en exclusivité à Boston et partout aux U.S.A. pendant plusieurs années. Un film culte.
Nous avons tourné l’essentiel des scènes à Senlis, dans des décors 1900 aménagés ou créés par François de Lamothe.
On souhaitait tourner en Scope mais sans en avoir les moyens, alors on nous a suggéré le Techniscope (qui on ?), ancêtre du Super 35, négatif 2,33 sur 2 perfos. Agrandissement et anamorphose sur tireuse optique Bell & Howell, internégatif inversible (pas un cadeau !), caméra Mitchell à parallaxe, entre les mains de Pierre Goupil, le Caméflex pour Gilbert Duhalde dont c’était les débuts au cadre, Dédé Bouladoux, chef machiniste, selon sa bonne habitude mettait un nouveau matériel au point. Je n’avais pas encore rencontré mon chef électricien le précieux Pierre Abraham.

Je me souviens de François Truffaut qui disait qu’il fallait une idée par plan ! Je me contentais d’une idée par séquence. Je passais de la lumière directionnelle par tache à la lumière indirecte et diffuse par plage, plus naturelle et bien plus facile à mettre en œuvre mais vite monotone et ennuyeuse si on est trop systématique. Souvent je mélangeais les deux, mais je m’appliquais à ne pas intervenir systématiquement avec mon matériel électrique et à tirer parti le plus souvent possible de " la lumière du Bon Dieu ", la lumière naturelle, vive et stimulante. L’école du reportage, du documentaire et des petits moyens, je n’en oubliais pas les leçons, le plaisir d’avoir deux arcs n’en était que plus excitant. Nous n’avions pas encore le polystyrène mais du calque, redouté par les ingénieurs du son, du papier Canson et des draps blancs. Les fabricants de matériel n’avaient pas encore compris nos besoins de nouveaux accessoires. La RFL 500 W et les Cinekings régnaient.

Un souvenir très fort me revient en écrivant. Je crois que sans ma passion pour le Cinéma je ne serais sans doute pas sorti d’une convalescence dans de bonnes conditions. Trois films et trois interventions chirurgicales jalonnent cette période pendant laquelle j’ai mené une vie de moine : La Vie de château de Jean-Paul Rappeneau, Le Roi de cœur et Mise à sac d’Alain Cavalier.
Pendant les nuits du Roi de cœur, je contenais discrètement des petites hémorragies et à l’aube je partais me faire soigner, manger et dormir dans une clinique du Val d’Or à Saint-Cloud, des amis prenaient soin de moi. Personne ne devait savoir que j’avais une fenêtre ouverte sur mon poumon droit en attente d’une cicatrisation ! Personne ne devait savoir que j’étais en cours de réparation...
Bref je vous recommande ce film, inconnu chez nous, avec une pensée bien affectueuse pour Philippe avec qui nous avons partagé tant de moments épatants et mémorables. Que les " happy few " deviennent des " happy many " !

N.B. : deux copies bichonnées chez Eclair d’après un inter qui a subi bien des aventures. Il existe un DVD édité aux U.S.A. (en zone 1 bien évidemment !)

Technique

A noter que suivront les ressorties des quatre premiers longs métrages de Philippe de Broca, Les Jeux de l’amour, Le Farceur et L’Amant de cinq jours, photographiés par Jean Penzer et cadrés par Pierre Lhomme, ainsi que Un monsieur de compagnie, photographié par Raoul Coutard. (NDLR)