Le directeur de la photographie Benoît Debie, SBC, parle de son travail sur "Love", de Gaspar Noé

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Le directeur de la photographie belge Benoît Debie, SBC, a récemment collaboré avec Wim Wenders pour Every Thing Will Be Fine et Ryan Gosling pour Lost River.
Devenu complice de l’univers de Gaspar Noé après avoir filmé Irréversible et Enter the Void, Benoît Debie accompagne de nouveau le réalisateur qui, avec Love, fait parler de lui sur la Croisette. Ce « mélodrame sexuel en 3D, évoquant une passion amoureuse contenant toutes sortes de promesses, de jeux et d’excès », est sélectionné au 68e Festival de Cannes en Séance de minuit. (BB)

Love est un film très différent de l’univers habituel de Gaspar Noé, peux-tu nous dire comment tu as travaillé ?

Benoît Debie : D’abord c’est tourné en 3D, ensuite, il n’y a pas de caméra qui bouge, ce ne sont pratiquement que des plans fixes. Après avoir terminé le tournage du film de Wim Wenders, Every Thing Will Be Fine, j’ai proposé à Gaspar de tourner en 3D. Mais il avait peur de la lourdeur et du coût que cela risquait d’engendrer. Il a fait des recherches, on a fait des tests et il s’est décidé pour la 3D. C’est un film assez sobre, différent de ce que l’on a fait ensemble. Les plans fixes, les corps qui occupent l’espace comme dans une photographie, et la 3D, donnent une sensation de peinture en relief. C’est vraiment étonnant.

C‘est finalement une autre manière d’utiliser la 3D ?

DB : Oui, exactement, et mon expérience sur le film de Wim m’a confirmé que c’était possible d’utiliser la 3D pour servir l’histoire et non pas pour apporter une distraction. C’est aussi comme ça qu’on a envisagé la 3D avec Gaspar.

Est-ce que tu as éclairé différemment, pour cette 3D, mais aussi pour les corps, les peaux ?

DB : La lumière est très naturelle, très sobre. Nous avons tourné dans des décors naturels, avec une très petite équipe, je n’avais qu’un électro-machino. C’était comme pour un court métrage, avec une camionnette et tout le matériel dedans ! Je n’ai utilisé aucun projecteur professionnel, pas de gélatine, juste des ampoules ou des lampes. Et du papier journal pour limiter les entrées de lumière !

Tu as fait aussi un choix qui influence l’aspect visuel, celui de la profondeur de champ…

DB : En fait, je ne voulais pas céder à la pression du diaph fermé pour la 3D. Parce que la grande profondeur de champ, c’est tout ce que je n’aime pas dans le numérique ! J’ai donc gardé un diaph ouvert. J’ai fait des réglages sur la caméra en m’efforçant de travailler la texture, le bruit, pour ne pas avoir une image lisse mais au contraire une image structurée, avec de la matière.
Mais au-delà des réglages caméra, j’ai travaillé comme si c’était du film. J’ai vraiment poussé le contraste, la sous-exposition… Parce qu’on dit toujours que le numérique est plus sensible mais c’est faux ! C’est intéressant de voir s’il peut supporter ces choix d’image.

Comment se passe la collaboration avec Gaspar Noé ?

DB : Avec Gaspar, on ne prépare pas beaucoup, il aime bien "profiter" des accidents et des imperfections qui se produisent en tournage, il préfère la spontanéité. Il ne me donne pas vraiment de direction pour l’image au préalable, on discute sur le décor et puis j’éclaire… Je lui propose des choses, si ça lui convient, on garde la proposition, sinon je change. On est dans l’intuition liée au moment et maintenant on commence à bien se connaître, alors c’est simple, fluide.

L’étalonnage est un moment important pour la 3D, il faut que les deux images soient identiques, comment s’est déroulée cette finalisation ?

DB : J’ai enregistré en Raw, et j’ai été vigilant sur les setup des caméras, pour que les deux images soient le plus possible proches l’une de l’autre. Le film était déjà presque étalonné à la prise de vues, l’exposition et la couleur étaient là, et cela a permis à Gaspar de voir une image quasi définitive sur le plateau.
Il n’y a pas eu de session d’étalonnage comme sur les films classiques, l’étalonnage s’est fait dans la salle de montage. Et comme il n’y a pas eu de projection de rushes, pas de projection d’étalonnage, je vais découvrir le film sur grand écran à Cannes !

Quel matériel as-tu utilisé ?

DB : La Red Dragon pour la caméra et les optiques Leica Summilux. J’avais utilisé l’Alexa pour le film de Wim Wenders, mais la Red Dragon est plus compacte et était plus adaptée pour ce film tourné en petite équipe. Cette caméra a un très beau rendu sur les peaux lorsque la lumière est un peu chaude. Nous avons utilisé le rig allemand de chez Screenplay, un rig léger que j’ai découvert pour le film de Wim avec lequel on peut tourner à l’épaule. Gaspar s’inquiétait beaucoup de la place que pouvait prendre un rig, deux caméras… Je crois que c’est en découvrant ce rig très compact qu’il a opté pour la 3D !

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)