Festival de Cannes 2018
"L’Amérique de Paul Dano", par François Reumont pour l’AFC
Le directeur de la photographie Diego Garcia parle de son travail sur "Wildlife", de Paul Dano
« J’ai tout de suite senti une excellente énergie quand j’ai discuté avec Paul lors de nos premiers contacts », se remémore Diego Garcia. « Il a travaillé avec beaucoup de très grands cinéastes en tant que comédien, il en a tiré, je pense, une solide expérience en termes de ce que peut être un film. »
Séduit par le projet Wildlife et par l’idée de tourner son premier film aux États-Unis en compagnie de ce grand type lunaire qui passe pour la première fois à la réalisation, Diego Garcia avoue que le fait d’être étranger lui a sans doute aussi donné un avantage : « Je crois que travailler avec quelqu’un qui avait une vision autre des États-Unis intéressait Paul. Ne pas forcément faire appel à un directeur de la photo qui aurait grandi et vécu aux USA, et proposer une perspective différente sur cette histoire très rurale qui se déroule en 1960. Je remercie également Darius Khondji qui, alors que Paul, sur le tournage de Okja, finalisait le montage de l’équipe, lui avait montré ma bande, et que Darius l’avait encouragé à me rencontrer. C’est super de travailler maintenant à ses cotés sur cette série à Los Angeles. »
Tourné à l’automne 2016, Wildlife reste un film modeste au regard de la production US (4,5 millions de dollars). Un projet qui a dû jouer des coudes pour rentrer dans son budget. « Si le Montana était notre lieu de prédilection, avec Paul, pour tourner le film, on n’a pas pu tout faire là-bas », explique Diego Garcia. « D’abord parce que l’automne était déjà bien avancé au début du tournage, et on ne voulait pas se retrouver perturbés par l’arrivée de la neige en cours de route. On a donc passé une semaine à faire tous les plans larges extérieurs de situation là-bas, pour ensuite déménager et faire le reste du film plus au Sud. En l’occurrence en Oklahoma, un état également plus accueillant fiscalement pour les tournages.
Pour ceux qui ne connaissent pas les États-Unis, je peux vous dire que ces deux endroits n’ont rien à voir l’un avec l’autre ! La trentaine de jours de tournage a donc été assez intense, pour relever ce challenge et trouver les quelques angles de caméra possibles en extérieur dans cette petite ville au milieu des plaines. A la fois sur le plan géographique, mais surtout pour se croire en 1960. Ça a demandé un travail de découpage extrêmement précis, avec des choix clairs qui ne nous ont pas laissé beaucoup de part à l’improvisation. Le film a été tourné presque chronologiquement, exception faite de cette première semaine d’extérieurs dans le Montana et de la présence limitée de certains acteurs. »
Parmi les références citées par le comédien réalisateur, des images venues d’Extrême-Orient, comme celles du cinéaste Kore Eda Hirokazu, d’Edward Jang ou de la photographe japonaise Rinko Kawauchi. « Cette vie sauvage (wildlife, en anglais) est avant tout une vie vraie. L’image dans le film est pure et la plus grande partie du film est tournée en lumière naturelle. C’est d’ailleurs l’un de mes premiers challenges quand j’ai découvert la rigueur du système de production américain. En fait, les équipes ne sont pas très souples comparées à ce que j’ai pu expérimenter auparavant au Mexique ou ailleurs. Parvenir à improviser une journée en fonction des conditions météo relève parfois de la médiation syndicale ! Heureusement, le premier assistant réalisateur nous a beaucoup aidés et nous a permis d’exploiter au mieux les créneaux météo annoncés. »
Parmi les autres sources d’influences, Diego Garcia cite de son côté le travail du photographe Stephen Shore ou celui de William Eggleston, qui ont tous deux beaucoup capturé le Midwest. « Il faut aussi parler du peintre danois Vilhelm Hammershøi », rajoute Diego Garcia. « L’utilisation, dans ses toiles, de la lumière venant des fenêtres a beaucoup joué sur ce film. Quoi qu’il en soit, l’idée était avant tout de faire un film simple et sensible. Suivre les émotions des personnages et s’adapter simplement à chaque scène. Un peu comme capturer délicatement le parfum d’une fleur. »
Au cœur des préoccupations du chef opérateur, le choix des objectifs pour équiper la caméra Alexa XT utilisée pour ce film. « Paul souhaitait être près des comédiens et utiliser la hauteur complète de l’écran pour cette histoire. Même si les paysages du nord-ouest américain auraient pu faire penser au Scope, c’était pour lui définitivement un film en 1,85. Pour choisir les optiques, on a voulu aller vers une série assez neutre, avec du caractère et de la texture mais sans flares ni distorsions, qui auraient marqué l’image avec un look trop vintage. Notre choix s’est porté sur la série Panavision Primo sphérique datant des années 1990. Avec ces objectifs, j’ai obtenu une image très propre en l’associant, la plupart du temps, avec de simples boules chinoises ou parfois quelques Skypanels. De toute manière, on avait à chaque fois très peu de temps pour les installations, en suivant le soleil ou les variations rapides de la météo sur place. A un ou deux moments-clés dans le film, j’ai utilisé un 50 mm Panavision High Speed (T:1) à pleine ouverture, pour des gros plans de comédiens, ce qui selon moi renforce l’émotion de la scène. »
Enfin, sur l’étalonnage, Diego Garcia loue la présence sur ce film d’un allié précieux : le coloriste Joe Gawler qui a finalisé le film à New York dans les locaux du labo numérique Harbor Picture Company. « A l’image de l’esprit du tournage, l’étalonnage s’est déroulé de manière très simple et directe. On a d’abord fait un passage à partir des négatifs numériques RAW, histoire de caler les niveaux de noir, et raccorder simplement les prises entre elles. Ensuite, on a affiné les couleurs pour retrouver les choses les plus naturelles que j’avais pu photographier sur le plateau. Une semaine a été suffisante pour ça. »
Dans les années 1960, Joe, un garçon solitaire et renfermé, est témoin de l’éclatement du mariage de ses parents après un déménagement dans le Montana. Sa mère, Jeannette, tombe amoureuse d’un autre homme...
(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)
Production : Alex Saks
Chef décorateur : Akin McKenzie
Montage : Matthew Hannam - Louise Ford