Le directeur de la photographie Florian Hoffmeister, BSC, parle de la série "The Terror"

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Entre étude historique et conte fantastique, la série "The Terror" est adaptée du livre culte de Dan Simmons narrant l’expédition britannique de 1848 partie dans l’Arctique à la recherche du passage du Nord-Ouest. Les deux bateaux (le HMS Terror et l’Erebus) ayant disparu sans jamais laisser de traces, le producteur Ridley Scott trouve ici une nouvelle déclinaison d’un thème qu’il explore depuis le premier Alien, il y a quarante ans. (FR)

C’est Florian Hoffmeister, BSC, qui signe l’image des premiers épisodes de la série, donnant ainsi le ton au reste de l’histoire qui se déroule dans une sorte de huis clos entre mer et glace.

Florian Hoffmeister, BSC, le chef électricien Attila Bilik et le réalisateur Edward Berger à droite. - Photo : Aidan Monaghan
Florian Hoffmeister, BSC, le chef électricien Attila Bilik et le réalisateur Edward Berger à droite.
Photo : Aidan Monaghan

Pourquoi avez-vous été choisi pour filmer cette série ?

Florian Hoffmeister : Je me suis retrouvé sur ce projet par l’intermédiaire du réalisateur allemand Edward Berger que je connais depuis très longtemps. Étant en outre dans les petits papiers de la chaîne AMC grâce à mon expérience de chef opérateur sur série télé, notamment sur la série remake "Le Prisonnier", que j’ai tournée pour eux en 2009. Ils ont vite décidé de me confier la mise en images des deux premiers épisodes dirigés par Edward, et le ton de l’ensemble du projet.
N’ayant moi-même pas lu le livre de Dan Simmons, j’ai découvert cette histoire à travers le scénario qui en avait été tiré par les deux "showrunners" David Kajganich et Soo Hugh. Je me suis d’ailleurs posé la question sur l’intérêt de lire le livre après-coup, mais finalement j’ai décidé de ne pas le faire.

Le réalisateur Edward Berger, Florian Hoffmeister, BSC, et le cadreur Marton Ragalyi en tournage en Croatie - Photo : Aidan Monaghan
Le réalisateur Edward Berger, Florian Hoffmeister, BSC, et le cadreur Marton Ragalyi en tournage en Croatie
Photo : Aidan Monaghan

Où avez-vous tourné ?

FH : La décision de tourner à Budapest s’est imposée comme souvent pour des raisons de taxes et de montage financier. Quand je suis arrivé sur le projet, Jonathan Mc Kinstry, le chef décorateur, était déjà engagé depuis plusieurs semaines et travaillait d’arrache-pied sur la conception des décors. Il faut savoir que quasiment l’intégralité de la série a été tournée sur plateau, à l’exception de quelques séquences extérieures notamment sur l’île de Pag, en Croatie. C’était pour moi un challenge artistique assez intéressant, puisque je devais construire la lumière arctique à partir de rien, avec un contrôle total sur l’image. Chacun sait que la capitale hongroise accueille beaucoup de tournages internationaux. Ils sont donc plutôt bien équipés en matériel et en studios. Mais au moment où on a commencé à tourner la série là-bas, se déroulait en parallèle le tournage de Blade Runner 2049, de Denis Villeneuve, qui occupait une partie non négligeable des installations. On a dû se rabattre sur une sorte de hangar vide à l’intérieur duquel a été construite une réplique à l’échelle 1 du bateau d’expéditions arctiques le HMS Terror. Un décor assez stupéfiant de réalisme qui nous a littéralement transportés dans le temps et impressionnés par la sophistication extrême dont les ingénieurs de l’époque pouvaient faire preuve sur ces bâtiments d’exploration.
Outre le fait que ces vaisseaux était capables de franchir des océans et de résister à l’emprisonnement par les glaces, ils transportaient littéralement une petite partie d’Angleterre à leur bord, services en porcelaine, bibliothèque, et bien sur tous les accessoires de navigation et de survie. Pour pouvoir simuler la flottaison du bateau, et surtout son gîte, au fur et à mesure qu’il s’enfonce irrémédiablement dans la banquise, le décor a dû être monté sur un système de cardans qui permettait de l’incliner jusqu’à 30°. Le pont supérieur était donc très haut dans le hangar, rendant l’éclairage extérieur plus compliqué pour moi à cause du manque relatif de hauteur sous plafond.

Comment avez-vous éclairé ce plateau ?

FH : Je suis parti sur une installation à 100 % avec des projecteurs LED. Ceci afin de pouvoir doser exactement la couleur dont j’avais besoin, et pour certaines séquences, créer même des lumières en mouvement, un peu comme si les nuages passaient devant le soleil. On s’est retrouvé avec six cents SkyPanels installés sur le plateau, tous contrôlés par une console qui, en quelques secondes, pouvaient faire passer le plateau du jour à la nuit. Après la prise de vues numérique, c’est vraiment la deuxième grande révolution dans le domaine des tournages. J’imagine maintenant difficilement comment on aurait pu aller aussi vite sur ce projet avec des sources classiques comme des Spacelights, sans même parler du budget en gélatines qui aurait littéralement explosé ! Pour le soleil, j’ai souvent eu recours à un 20 kW Mole Beam (ampoule tungstène et lentille claire) qu’on pouvait placer selon des incidences rasantes, avec ses longues ombres caractéristiques de la lumière arctique à l’entrée ou à la sortie de l’hiver.

Quelles étaient vos références visuelles ?

FH : En discutant lors de la préparation, nous sommes tombés d’accord avec Edward et la production sur un style d’image mystérieux et contemporain plutôt que sur un look romantique ou un peu impérial comme le sont souvent les films qui se passent à l’époque victorienne. Une image sombre avec de la matière et des couleurs délavées. En progressant, au fur et à mesure de nos tests, je me suis souvenu du rendu du traitement sans blanchiment qu’on utilisait dans les années 1990 en argentique, et qui avait pour but de conserver une partie de l’argent dans l’émulsion, en modifiant le développement négatif. Il en résultait des couleurs mutantes, un fort contraste et de la matière à l’écran, avec le grain de la pellicule qui devenait plus présent. Travaillant avec l’équipe de Colorfront à Budapest - qui font partie des vétérans de l’étalonnage numérique - on a mis au point un traitement de l’image qui imite très fidèlement le traitement argentique sans blanchiment. Pour cela, on a pris en référence certain films qui avaient utilisé cette technique, comme Lincoln, de Spielberg, tourné par Janusz Kamiński, ASC. Comme je sais par expérience que dans la chaîne de postproduction numérique il peut y avoir beaucoup de louvoiements en matière de contrôle d’image, j’ai insisté pour que ce traitement soit appliqué dès le tournage sur le plateau, et suive tout au long de la postproduction, du montage aux effets spéciaux, avec un étalonnage colorimétrique parfait de toute la chaîne.
J’ai personnellement déjà trop souvent souffert d’images numériques capturées sans intention ferme d’étalonnage, qui au fur et à mesure du montage, se transforment pour partir dans une direction complètement opposée. Très différent de la référence qu’offrait jadis le film.

Vos choix de matériel ont-ils été imposés par le diffuseur ?

FH : En matière de caméra, le diffuseur AMC impose une finition en HD 16/9, sans exiger plus, à la différence d’autres comme Netflix par exemple. Du coup, sur le papier, la production rechigne à envisager de tourner avec des caméras qui proposent du 4K ou du 6K. Néanmoins, dans le monde de la prise de vues numérique, la résolution va de pair désormais avec la taille du capteur. Et mon sentiment, dès la préparation, était de tourner avec une caméra grand capteur comme la RED Dragon, pour pouvoir utiliser des focales plus longues sur le décor, tout en conservant des angles de champ assez larges.
C’est exactement ce que j’ai essayé de démontrer à la chaîne lors de mes essais, en prenant comme exemple les plans les plus larges du bateau qui pouvaient soudain être faits avec le recul limité de notre hangar. Des plans tournés au 35 mm, alors qu’il nous aurait fallu un 24 mm pour avoir la même échelle de plans avec une caméra à capteur classique. Sur les séquences de dialogues et les visages, le rendu est aussi très différent quand on peut tourner au 50 mm plutôt qu’au 32 mm... Jugeant du résultat, j’ai réussi à faire accepter mon choix, et nous avons tous tourné en 6K avec des optiques Panavision Primo.


Quel challenge a été le plus difficile ?

FH : La contrepartie de simuler un traitement sans blanchiment, c’est qu’il faut éclairer plus sur le plateau. Exactement comme en argentique, le contraste monte, et la sensibilité ressentie baisse. C’est surtout dans les intérieurs du bateau qu’on a senti la différence. Ainsi, on a dispatché les sources de lumière en trois "couches", d’abord une sorte de niveau donné par les SkyPanels en prenant l’opportunité de démonter en général un des pans du décor et en diffusant à travers des toiles. Puis une série de lampes de figuration en arrière-plan, trichées électriquement, et enfin les sources de premier plan qui étaient, elles, de vraies répliques de lampes à pétrole d’époque, et créaient des flares authentiques. Parfois, j’utilisais aussi quelques boules chinoises pour déboucher telle ou telle zone ou renforcer l’effet de telle ou telle lampe de figuration.


La caméra est très souvent en mouvement, mais sans sembler être portée, comme souvent dans les films de sous-marin ou de bateau...

FH : Vu l’exiguïté des décors et le réalisme qu’on recherchait, la logique nous orientait vers la caméra-épaule. Une sorte d’authenticité et d’humanité immédiate à l’image. Mais en préparant et en prenant possession du décor peu à peu fini, on a soudain eu envie de quelque chose de plus brutal pour augmenter la claustrophobie. C’est pour cette raison que dès le premier épisode, on s’est mis à travailler presque entièrement la dolly, en utilisant une version miniature (la Cobra Dolly) et grâce à l’ingéniosité des machinistes. Me remémorant mon travail passé avec le réalisateur Terence Davies, qui aime beaucoup les longs plans, j’ai aussi essayé, sur certaines séquences, de proposer à Edward Berger de ne pas trop découper. Un bon exemple est cette séquence de réunion entre tous les officiers, au cours du premier épisode, pendant laquelle ils se racontent leurs souvenirs d’expéditions. Pour réaliser ce plan-séquence, on a dû suspendre la caméra en retirant le plafond de cette pièce du bateau, en cadrant avec une tête remote gyro-stabilisée. On a mis au point ce mouvement de grue lent qui plonge vers la table, puis panote à 360° sur les comédiens autour de la table.

On a aussi pas mal utilisé la Technocrane pour les plans en extérieur autour du bateau, et je dois tout particulièrement souligner le travail des effets spéciaux numériques qui a permis de rajouter, soit la glace, soit l’océan, à la place des immenses écrans verts qui tapissaient le plateau. Toute la séquence d’ouverture durant laquelle on découvre les deux bateaux et ce plan aérien à l’arrière de la quille de l’Erebus ont été tournés intégralement dans notre hangar, sans la moindre goutte d’eau, tout comme la séquence de noyade du matelot qui chute du mât, quelques minutes plus tard. Le résultat est stupéfiant et j’en suis extrêmement reconnaissant à Viktor Muller, le superviseur en chef des VFX (Blade Runner 2049, The Walk, Wonder Woman...)


https://vimeo.com/300275967

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)