Festival de Cannes 2015
Le directeur de la photographie Georges Lechaptois parle de son travail sur "Maryland", d’Alice Winocour
1993, aussi bien sur des fictions que sur des documentaires ou de la publicité. Une grosse partie de sa carrière a été vouée à la publicité mais il travaille plus souvent sur des longs métrages depuis Belle épine, le premier long métrage de Rebecca Zlotowski sorti en 2010. Il a récemment éclairé le premier long métrage de Zoltan Meyer tourné en Chine, Voyage en Chine. (BB)
C’est pour le deuxième film d’Alice Winocour, Maryland que Georges Lechaptois nous parle de sa collaboration avec la réalisatrice dont il a éclairé le premier long métrage Augustine, sélectionné à la Semaine de la Critique en 2012. C’est cette fois la section Un certain regard qui accueille son deuxième film.
De retour d’Afghanistan, Vincent, victime de troubles du stress posttraumatiques, est chargé d’assurer la sécurité de Jessie, la femme d’un riche homme d’affaires libanais, dans sa propriété, "Maryland". Tandis qu’il éprouve une étrange fascination pour la femme qu’il doit protéger, Vincent est sujet à des angoisses et des hallucinations. Malgré le calme apparent qui règne sur "Maryland", Vincent perçoit une menace extérieure... Avec Matthias Schoenaerts, Diane Kruger et Paul Hamy.
Cette nouvelle collaboration avec Alice Winocour a-t-elle permis une continuité de ton travail sur Augustine ?
Georges Lechaptois : Maryland est vraiment très différent. Presque tout le film est tourné dans une maison au Cap d’Antibes, et c’est pratiquement un huis clos dans cette maison pendant la durée du film. C’est vraiment un thriller. Matthias Schoenaerts, qui interprète Vincent, est de tous les plans. C’est toujours son point de vue qui nous intéresse, on le suit, on le précède, il est en amorce, on est dans son regard subjectif… C’est assez contraignant, au moment de faire un découpage, mais ça donne une vraie cohérence au film.
Vous avez évoqué des références de films pour l’image ?
GL : La Cienaga, de Lucrecia Martel, c’est toujours une référence pour Alice, nous nous en sommes inspirés pour les scènes autour de la piscine. Nous avons vu aussi le documentaire de Laurent Bécue-Renard, Of Men and War (Des hommes et de la guerre). Je crois que c’est ce qui l’a amenée à avoir envie de filmer en se déportant, pour ne pas rester de face, être un peu décadré ou mal cadré.
Elle était très influencée par le film d’Elia Kazan, Les Visiteurs. Il y a toujours quelqu’un qui passe ou quelque chose qui bouge dans le cadre et qui fait ressentir une menace…
Quel a été ton dispositif d’éclairage pour cette maison ?
GL : Cette maison est toute blanche à l’extérieur, plein sud. Je ne voulais pas de hautes lumières dans l’image mais avec cette façade et les baies vitrées plein sud, à 10 heures, le soleil pénétrait déjà dans le salon. Il fallait donc éclairer à l’intérieur pour contrebalancer cette arrivée de lumière forte. Je ne voulais pas de fenêtres brûlées alors je les ai souvent gélatinées.
Dans la grande cuisine au rez-de-chaussée, nous n’avons tourné que dans la journée, j’ai donc été obligé de borgnoler ou de gélatiner pour les effets nuits. On a aussi construit des sas mais je n’aime pas beaucoup travailler avec des sas ou du borgnolage. J’ai éclairé avec des tubes, j’étais en lumière du jour même la nuit, tout en gardant la caméra à 5 600 K tout le temps.
Le tournage a eu lieu en octobre, novembre et décembre, avec pas mal de problèmes de météo, des changements assez brutaux. Par exemple, le tournage d’une journée qui a cette temporalité dans le film s’est étalé sur les trois mois. Cette journée est importante car il s’y passe plein de choses. C’est assez angoissant, on sent que quelque chose va se passer.
As-tu imaginé une lumière particulière pour renforcer l’oppression qui doit se dégager du film ?
GL : Plus on avance dans le film, plus c’est sombre. A la fin de cette énorme journée où se déroule beaucoup d‘événements, on arrive dans la maison qui a été dévastée, fouillée, et pendant toute l’action où Vincent découvre ce saccage, c‘est très sombre. J’ai fait pour ça une sorte de "crépuscule américain".
Comment as-tu éclairé la fête ?
GL : Je n’avais pas de groupe pour le décor de la maison, j’ai donc utilisé des nouveaux 9 kW. Par contre, pour la séquence de la fête, j’ai eu un groupe et une nacelle. Comme je n’aime pas les grosses directions de lumière, Olivier Régent, mon chef électro, fabrique des cages pour mettre de la diffusion. Les nuits sont assez éclairées, Alice voulait qu’on sente l’herbe, les arbres. Il y a des PAR sur dimmer dans les barnums. La façade de la maison est éclairée en mauve, magenta et ça fonctionne bien.
Quelles optiques as-tu choisies ?
GL : J’ai utilisé des optiques fixes Zeiss GO. Je voulais une image un peu dure, je les ai un peu diffusées mais beaucoup moins que sur Augustine. Je ne voulais pas travailler à pleine ouverture mais je trouve plus intéressant de prendre des optiques qui ouvrent à 1,4 et de les utiliser à 2,8 plutôt que d’être à pleine ouverture à 2,8 avec d’autres optiques. En fait, j’ai un peu hésité à prendre cette série parce que je trouve qu’il manque des focales intermédiaires. Et j’aurais aimé avoir des optiques différentes pour les intérieurs et pour les extérieurs.
Comment s’est passée la postproduction, l’étalonnage ?
GL : On a fait la postproduction chez Digimage. Il n’y a pas eu de suivi pendant le tournage, donc des rushes pas terribles ! J’ai eu le même étalonneur que sur Augustine, Serge Anthony. L’étalonnage s’est fait en dix jours avec un préétalonnage de tout le film pendant une journée, une semaine avant la sélection cannoise. J’aimerais pouvoir faire l’étalonnage en plusieurs temps différents. Regarder une nouvelle fois le film en oubliant les couleurs des images inscrites dans ma mémoire.
En fait, le réalisateur qui monte avec des images issues du REC 709 s’habitue à des images "moches", et quand on met un peu de couleurs au moment de l’étalonnage, il trouve ça trop !
(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)