Le directeur de la photographie Jean-Marc Fabre, AFC, parle de son travail sur "Camille redouble", de Noémie Lvovsky

by Jean-Marc Fabre

Jean-Marc Fabre a signé l’image d’une trentaine de longs métrages et travaillé, entre autres, avec Jean-Pierre Denis (Les Blessures assassines), James Ivory (A Soldier’s Daughter never Cries), Amos Kollek (Fast Food, Fast Women), Jacques Audiard (Un héros très discret), Danièle Thompson (Fauteuils d’orchestre, Le Code a changé), Anne Fontaine (Comment j’ai tué mon père, Nathalie…, Mon pire cauchemar), Nicole Garcia (L’Adversaire, Un balcon sur la mer). Avec Camille redouble, il collabore pour la quatrième fois avec Noémie Lvovsky qu’il a rencontrée à La fémis en 1989.

Camille redouble est l’histoire d’une femme de 40 ans qui s’évanouit lors d’une soirée du jour de l’an. Elle se retrouve dans l’époque de son adolescence, 20 ans plus tôt. Elle re-rencontre son amoureux qui est celui qui vient de la plaquer dans le présent et elle retrouve ses parents qui sont morts.
C’est Noémie Lvovsky qui interprète le rôle dans les deux époques. Dans ce bond dans le passé, elle apparaît comme elle est actuellement mais les gens la voient comme si elle avait 18 ans. C’est donc un film qui se passe en grande partie dans les années 1980.

Jean-Marc, as-tu traité différemment les deux époques ?

Jean-Marc Fabre : Je suis encore en étalonnage alors je n’ai pas encore complètement arrêté les partis pris d’image. C’est un peu compliqué car c’est un film très coloré et ces couleurs existent dans les deux époques. Il n’y a donc pas réellement de différence entre les deux à ce niveau-là.
On a plus travaillé sur la transition, le moment où elle se réveille dans le passé, pour créer une sorte de choc. De toute façon, je pense que lorsqu’on donne une particularité à une image, le spectateur s’habitue à cette particularité et l’image n’est spéciale que pendant les cinq premières minutes.

Les partis pris de lumière sont appliqués plutôt sur les années 1980 car tout ce qui se passe dans le présent, pendant cette fête du jour de l’an, a déjà un côté coloré, fantasque que je n’ai pas voulu accentuer. Et puis on reste tout le temps avec ce personnage, on fait le voyage avec elle et il n’est pas vraiment utile de souligner les choses par des effets.
J’ai déjà expérimenté ces allers-retours dans différentes époques pour le film de Nicole Garcia, Un balcon sur la mer. Pour ce film, ça passe beaucoup par le montage et si celui-ci est subtil, on n’a pas besoin de forcer le trait à l’image. J’ai souvent remarqué qu’après coup, on pouvait regretter, trouver ça trop lourd de prendre des partis pris trop marqués ou trop systématiques.

Comment s’est passée la préparation ?

JMF : Noémie aime bien préparer assez en amont, surtout pour les costumes, les décors. Nous avons parlé surtout de la façon de tourner car le gros changement par rapport aux autres films, c’est qu’elle joue dans le film. Cette double casquette était dure pour elle ! Déjà c’est difficile de réaliser, quand en plus il faut trouver l’énergie de passer devant la caméra…
Pour moi, ça ne changeait pas grand-chose, sauf qu’elle était assez préoccupée et très fatiguée. Pour la lumière, ce n’était pas toujours évident car elle pouvait avoir le visage assez marqué. Elle a besoin d’une certaine liberté car elle tourne dès les premières prises et change des choses au fur et à mesure.

Qu’as-tu fait pour gommer sa fatigue ou même pour qu’elle ait l’air plus jeune ?

JMF : Je me suis rendu compte que la jeunesse du personnage passe par des attitudes plus que par le maquillage ou même la lumière.
La lumière… C’est beaucoup une question de position de visage et c’est très dur de diriger Noémie car elle ne va pas spontanément se retourner, regarder vers la lumière. Je n’ai pas pu intervenir là-dessus mais je le savais plus ou moins avant de commencer à tourner. De toute façon, le parti pris de Camille redouble est que c’est la même comédienne qui fait les deux âges. Et on l’accepte ! Ce sont les autres aussi qui nous aident à la considérer dans son plus jeune âge, puisque eux la voient comme ça.
Et le sujet est quand même l’adulte qui est dans la peau de l’ado. Par moments, avec ses copines, ou quand elle se met à courir, elle est vraiment dans cette jeunesse-là. Et à d’autres moments, par exemple quand la mère fait des remarques, elle fait plus adulte, c’est assez troublant.
Je voulais garder quelque chose d’un peu pêchu, avec une lumière peut-être moins diffuse que ce que je peux faire habituellement.
Il y a beaucoup de couleurs dans les décors, dans les costumes et il fallait aussi faire une lumière qui accompagne ces couleurs.

C’est ton premier film en numérique ?

JMF : Non, mais c’est le premier film pour le cinéma que je fais en numérique. J’ai utilisé ma cellule pour faire le diaph.

Tu n’as pas abandonné tes outils !

JMF : Non, déjà que je n’en ai pas beaucoup ! Je n’en ai pas changé, c’est toujours la même cellule depuis des années ainsi que mon vieux spotmètre Pentax.
L’étalonneur pense que c’est une bonne chose de travailler à la cellule car les écrans sont un piège.
L’image en log C est très plate, quand on la regarde, on ne peut rien en penser, mais je l’utilise dans le viseur pour estimer une pose à l’œil. C’est utile surtout pour des plans avec des zones très sombres ou très claires, parfois je décale ma pose pour enregistrer plus de latitude. Mais si on n’utilise pas la cellule, on peut vite glisser.

Je règle ma cellule à 800 ISO en lumière du jour et plutôt 640 en lumière artificielle.
Ce que j’aime avec l’Alexa, c’est que j’arrive à bien voir mon image dans la visée. Au début, ce qui me repoussait dans la HD, c’était cette visée numérique.
Ce n’est pas un film où l’argent devait être dépensé pour la technique. Le temps était plus précieux pour le tournage que le nombre de projecteurs. Nous avons eu 11 semaines de tournage.
Pour chaque prise, Noémie tournait la scène en entier, qu’on soit en gros plan ou en plan large. Ça prenait beaucoup de temps, 15 prises de cinq minutes, c’est beaucoup de temps de tournage.

Au point c’était vraiment dur aussi. Car elle est à fond tout le temps. Parfois, elle montait trois étages avant de rentrer dans l’appartement pour être essoufflée, et elle le faisait pour chaque prise. Ce qui fait beaucoup de temps d’attente. Et là, le numérique est nécessaire. C’est aussi un choix par rapport à la saison. On a tourné en automne, et le numérique permet de tourner plus longtemps en fin de journée. Je trouve que la HD lisse un peu la peau et pour ce film, ça apportait quelque chose dans le sens du rajeunissement. C’est la différence la plus flagrante quand on compare la HD avec la pellicule.

Le montage du film est assez particulier, il y a beaucoup de " jump cuts ". Noémie pioche dans toutes les prises, sans se préoccuper vraiment des raccords ; ça donne un côté très vivant au film, assez rythmé. Il y a même un côté haché que j’aime bien. C’est un film qui a la pêche !