Le directeur de la photographie Joshua James Richards reçoit la Grenouille d’or 2020 pour son travail sur "Nomadland", de Chloé Zhao

Par Margot Cavret

Contre-Champ AFC n°314

Alors que l’édition virtuelle du festival a fermé ses portes le 22 novembre, le palmarès 2020 de Camerimage a récompensé Joshua James Richards de la Grenouille d’or pour son travail sur Nomadland, de Chloé Zhao. Le film, également lauréat du prix FIPRESCI (prix de la critique internationale pour le réalisateur du meilleur film de la Compétition principale – avec une considération particulière portée à l’image), avait déjà obtenu le Lion d’or à la Mostra de Venise au mois de septembre.

Bien que Nomadland n’ait pas été disponible pour le public du festival en ligne (c’était le cas de la plupart des films attendant encore leur sortie en salles), Joshua James Richards a néanmoins donné une conférence sur son travail, sa collaboration avec Chloé Zhao et son approche de la direction de la photographie.

Chloé Zhao et Joshua James Richards se sont rencontrés sur les bancs de l’Université de New York (NYU), où tous deux ont étudié le cinéma. Le directeur de la photographie explique qu’il voulait faire des études de cinéma dans le but de rencontrer des gens comme elle, et que dès qu’elle commença à lui parler de ses projets cinématographiques, il eut envie de faire partie de l’aventure. Elle était alors au tout début de la préparation de son premier long métrage, Les chansons que mes frères m’ont apprises, sorti en 2015 et marquant la première des trois collaborations entre la réalisatrice et le chef opérateur. Le film avait d’ailleurs été primé à Camerimage cette année-là, dans la section des Premiers films d’un directeur de la photographie. C’était une expérience particulière, tournée avec un très petit budget, mais Josha James Richards retient surtout de ce premier film un sentiment de grande liberté.

Cette liberté semble d’ailleurs être le maître-mot des films de la réalisatrice. Au-delà de ses scénarios – invitations au voyage, au retour à la nature, à la rencontre de l’autre et à l’abandon –, elle porte cette notion jusque sur le plateau de tournage, restant sans arrêt ouverte à l’improvisation et à l’imprévu. « Chloé essaye de re-créer une atmosphère, un environnement, puis elle y met ses personnages et la caméra, et reste libre dans cet espace, sans contraintes techniques ou de réalisation ». Pour s’adapter à sa manière de travailler, le directeur de la photo réduit ses outils au minimum, ce qui peut s’avérer frustrant par moments, mais lui permet du même coup de rester sans arrêt aux aguets, prêt à saisir les opportunités. Il compare son métier à une chasse aux papillons : « On y va avec un filet, on espère. Mais il faut connaître les possibilités de revenir les mains vides. » Pour éviter ce cas de figure, il reste constamment prêt à s’adapter : « Parfois, avec la météo ou d’autres aléas, on retient son souffle, on espère que ça va fonctionner. Et puis, finalement, on obtient un plan qui ne ressemble pas du tout à ce qui était prévu, et on se dit "en fait, il est parfait comme ça". »

Joshua James Richards a pris pour habitude de se fixer des règles pour l’image, qui vont donner son caractère au film.

Lors de chaque préparation, Joshua James Richards a pris pour habitude de se fixer des règles pour l’image, des contraintes de profondeur de champ, d’exposition ou des méthodes de travail, qui vont donner son caractère au film. Pour Nomadland, par exemple, il s’impose d’être toujours un peu sous-exposé et de travailler uniquement en lumière naturelle ou disponible. Après coup, il confie qu’il aurait sans doute été parfois plus simple d’utiliser plus de projecteurs, mais dans la tempête du tournage, avoir ces règles auxquelles s’accrocher lui a permis d’être efficace et de conserver une cohérence esthétique tout au long du film. C’est peut-être cette règle qui a conduit à tourner plusieurs scènes de "magic hour". À ce sujet, il raconte : « C’était censé être des moments de tranquillité, mais toute l’équipe était tendue, à cause de la faible fenêtre temporelle que nous avions pour tourner les plans. Tout le monde s’est emparé du problème, c’était l’équipe entière contre les éléments, et c’était vraiment bien parce que ça nous a donné un ennemi commun, ça a renforcé les liens. »

Cependant, le chef opérateur nous confie également sa peur de tomber dans une dynamique esthétisante, une image idéalisée de carte postale. Peu importe que ce soit joli, l’important est de communiquer des émotions. Cela peut parfois passer par des plans de paysage mais toujours dans une perspective directe, immersive. Par ses mouvements de caméra, par son cadre et par ses lumières, le directeur de la photo se révèle obsédé par la notion d’immersion, par l’idée de faire plonger le spectateur dans un univers, entièrement, de le faire ressentir en même temps que comprendre. Également dessinateur et photographe, il parle de sa passion pour les visages, qu’il regarde avec fascination depuis toujours, et qu’il désire fixer, retenir, capter. C’est finalement cette débordante curiosité envers les gens qu’il cherche à traduire par le cinéma. Et il rend hommage à Camerimage et à tous les fabricants qui travaillent sans cesse pour faire progresser les techniques. Il se décrit lui-même comme peu versé dans la technique, comme Chloé Zhao, et souligne que désormais il peut orienter uniquement ses conversations techniques vers des questions esthétiques, de scénario ou de ressenti. Il explique, par exemple, avoir proposé à la réalisatrice d’avoir du grain dans l’image, ce qu’elle a refusé car pour elle, c’est un obstacle mis entre le spectateur et le sujet. C’est cet essor de la technologie démocratisant les procédés cinématographiques qui fait de Camerimage le festival favori de Joshua James Richards, qu’il décrit comme un festival sans faux-semblants, réunissant simplement des passionnés de cinéma et de cinématographie, partageant avec passion leurs expériences, dans un espace-temps unique.

L’édition virtuelle 2020 est désormais clôturée, et malgré son impeccable déroulement technique et la grande générosité des directeurs de la photographie invités à témoigner de leurs tournages et de leurs méthodes, l’aspect vivant du festival, les conversations sans écran interposé et le partage de films en salles auront manqué, cette année. En attendant impatiemment de retrouver Toruń l’année prochaine, nous pourrons patienter en découvrant le grand gagnant de cette année dans les salles françaises à partir du 30 décembre.

(En vignette de cet article, une photo de plateau de Nomadland. De gauche à droite : la réalisatrice Chloé Zhao, le directeur de la photo Joshua James Richards et la comédienne Frances McDormand.)