Le directeur de la photographie Laurent Brunet, AFC, parle de son travail sur "A Strange Course of Events", de Raphaël Nadjari

by Laurent Brunet

Laurent Brunet a travaillé à deux reprises avec Christophe Honoré (Non ma fille tu n’iras pas danser et La Belle personne) et c’est pour Séraphine, de Martin Provost, qu’il remporte le César de la meilleure photo en 2008. Il a éclairé tous les films de Raphaël Nadjari et c’est pour son 6ème long métrage, A Strange Course of Events, en sélection à la Quinzaine des réalisateurs, que Laurent nous parle de son travail…

Synopsis
Saül, la quarantaine, rêveur et mélancolique, court chaque fois qu’il ne va pas bien, chaque fois qu’il veut fuir sa vie.
Sur un coup de tête, il décide un jour de rendre visite à son père qu’il ne voit plus depuis cinq ans et qu’il tient pour responsable de tous ses maux.
A Haïfa, en quelques jours, de chutes en déconvenues, entre drame et burlesque, il découvrira un père transformé, un monde réinventé et, peut-être, l’espoir d’une vie nouvelle...

Pour le dernier film de Raphaël Nadjari, Tehilim, en sélection officielle à Cannes en 2007, tu nous parlais de sa manière peu conventionnelle de tourner. Que peux-tu nous dire à ce propos pour A Strange Course of Events ?

Laurent Brunet : Comme pour tous ses autres films, Raphaël Nadjari travaille avec un dispositif narratif de départ qui est souvent un scénario non dialogué en improvisation avec ses acteurs. En revanche, l’histoire est construite, pensée.
La particularité pour ce film, c’est qu’il a dessiné 600 photogrammes de chaque séquence. C’est comme un storyboard où chaque scène est dessinée avec les personnages en action. C’était le seul support sur le tournage pour tout le monde. J’avais le film devant les yeux.

C’est comme un découpage déjà entièrement établi ?

LB : Non, pas vraiment. Raphaël est à l’origine un graphiste. Ces dessins n’avaient pas la précision technique d’un découpage mais ils étaient plutôt une évocation des sentiments, des personnages, du rythme de l’histoire.
Il ne s’enferme pas dans une écriture et ne fige rien. Il laisse des portes ouvertes tout en les contrôlant. Le film évolue au cours du tournage.

Et toi, tu improvisais aussi ?

LB : Oui, en quelque sorte... Je suis arrivé cinq jours avant le tournage, il y avait plein de décors que je ne connaissais pas. Le film a été tourné en 17 jours plus deux jours de " retakes ". On attendait que la scène se révèle avec les acteurs pour comprendre comment on allait filmer. L’improvisation nécessite un temps de recherche.
Nous avions décidé que la caméra serait posée sur pied, une manière de la contenir dans un langage moins documentaire. Ce dispositif nous obligeait aussi à sans cesse redéfinir un point de vue pour chaque nouveau plan.
On peut dire que j’ai improvisé aussi pour la lumière, en éclairant peu. J’avais deux Led Panel 30 x 30, un 1 200 W, des réflecteurs et c’est tout ! Nous avons tourné beaucoup de séquences à l’intérieur d’un grand centre commercial que je n’ai absolument pas pu contrôler. Dans les appartements, j’ai contre-balancé les contre-jours avec des réflecteurs. Avec si peu de matériel, et surtout si peu de temps, j’ai surtout utilisé la lumière existante que je contrôlais au mieux...

Pour ce dispositif particulier, quels ont été tes choix de matériel caméra ?

LB : J’ai choisi une Red Epic car je sentais que c’était le bon outil. Nous l’avons utilisée comme un gros appareil photo. C’est une caméra qui, en termes de colorimétrie, est celle qui me donne le plus de satisfaction. J’ai fait de la sous-exposition tellement basse que normalement, il n’y a plus de couleurs… Mais j’arrivais encore à en trouver, même sur les peaux.
On a tourné avec des objectifs photo des années 1970-80, des Leica R. Ils appartiennent vraiment au domaine de la photo et n’ont aucune ergonomie pour le cinéma. Comme nous étions en 4K, ils n’avaient pas la même couverture puisque ce sont des objectifs 24 x 36 pour une caméra 35 mm. On avait donc un " crop " de 1,7 avec un 35 mm équivalent à un 60, un 50 mm équivalent à un 85 mm. On a fait le film quasiment avec trois focales : 35, 50 et 85, donc des longues focales tout le temps. Ces optiques ont également leur particularité qui est le " Leica Glow ", diffusion naturelle des hautes lumières. C’est la première fois que je ne filtre pas en numérique, que j’utilise les lentilles à l’état pur.

As-tu passé beaucoup de temps à l’étalonnage ?

LB : Peu de temps, sept jours ! Mais j’ai beaucoup exploré l’image avant la phase d’étalonnage. Des outils comme le Ligthroom, le Resolve Lite, m’ont permis de gagner du temps. Je remercie au passage le studio M141 et Christophe Bousquet pour leur grande patience et disponibilité.

(Propos recueillis pas Brigitte Barbier pour l’AFC)