Le directeur de la photographie Laurent Desmet revient sur "Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait", d’Emmanuel Mouret

Contre-Champ AFC n°317

C’est par le biais de sa longue amitié avec le producteur Frédéric Niedermayer que Laurent Desmet a rencontré le réalisateur Emmanuel Mouret en 2005. Même s’ils sont tous les trois issus de La Fémis (mais dans des promotions séparées), ils forment, depuis maintenant huit films, une équipe solide. Avec Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait (sorti en salle en septembre 2020), le réalisateur marseillais signe un nouvel opus autour des relations amoureuses. En faisant se rencontrer cette fois-ci à l’écran Niels Schneider, Camélia Jordana, Emilie Dequenne et Vincent Macaigne. Un film tout en douceur à l’image, où l’héritage photographique de la Nouvelle Vague est très présent. (FR)

Daphné, enceinte de trois mois, est en vacances à la campagne avec son compagnon François. Il doit s’absenter pour son travail et elle se retrouve seule pour accueillir Maxime, son cousin qu’elle n’avait jamais rencontré. Pendant quatre jours, tandis qu’ils attendent le retour de François, Daphné et Maxime font petit à petit connaissance et se confient des récits de plus en plus intimes sur leurs histoires d’amour présentes et passées...

Qu’est-ce-qui change sur ce film ?

Laurent Desmet : Sans doute l’idée du plan-séquence. Un dispositif qu’on avait commencé à explorer depuis Mademoiselle de Joncquières, mais qu’on a pu cette fois-ci pousser encore plus loin. L’idée était vraiment de filmer presque tout en mouvement, avec des petits travellings, quelle que soit la taille des décors qui étaient les nôtres. Sur Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, certains décors, comme la maison de vacances (où Camélia Jordana accueille Niels Schneider), étaient plus facile à gérer. Il n’en était pas du tout de même sur d’autres lieux très exigus comme l’appartement de Camélia Jordana.

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Il faut alors trouver des ruses pour arriver à avoir du mouvement. Un autre point particulier de ce projet était l’imbrication des différentes histoires, de différentes temporalités et des différents personnages. Il était crucial pour nous que le spectateur sache en permanence où il se trouvait dans la narration. Pour cela, faire des ambiances très marquées par décor, et prendre une grande précaution aux enchaînements de séquence à séquence. Faire en sorte que la transition soit douce, sans qu’on soit dans la lassitude.

Comment faites-vous ces plans-séquences ?

LD : J’utilise essentiellement une Dolly Magnum. Le Magnum se démonte en deux pièces, très pratique pour les escaliers parisiens ! Comme le cinéma d’Emmanuel est articulé essentiellement autour des comédiens, on est presque tout le temps à hauteur d’yeux, et je n’ai quasiment pas besoin de mouvements verticaux. Je sais que ce n’est pas l’instrument le plus utilisé sur les plateaux, mais je trouve sa position de cadrage assez pratique par rapport à la chorégraphie des comédiens. Par exemple, le fait de pouvoir panoter horizontalement sur des angles très ouverts – grâce au siège qui pivote autour de la colonne – et aussi le faible encombrement de sa base.

Le fait qu’Emmanuel Mouret ne soit pas à la fois devant et derrière la caméra change-t-il la donne ?

LD : Quand il ne joue pas, il n’a pas à apprendre de texte. Dès la préproduction il est beaucoup plus détendu, et on prépare d’autant plus. Lors des prises de vues, il s’investit également plus dans sa mise en scène et son exigence monte en même temps d’un cran. C’est passionnant pour moi car la relation est plus riche avec lui car il est plus détendu. Comme je n’ai pas à discuter avec lui de son interprétation, je retrouve d’une certaine manière mon poste originel de directeur de la photographie au strict sens du terme ! D’un point de vue mise en scène pure, même si on travaille beaucoup en amont tous les deux sur chaque scène, sur chaque lieu, on ne fait pourtant pas de découpage. On arrive chaque matin sans savoir comment les scènes vont être couvertes, juste en sachant combien de temps va être attribué à chaque séquence. On est dans du cinéma documentaire d’une certaine manière car on place les acteurs dans l’espace, et ce n’est qu’après les avoir vus répéter la scène qu’on prend nos décisions sur les axes et les mouvements. La scène s’articule donc souvent autour d’un plan unique qui, selon comment les choses se déroulent, peut être agrémenté d’un gros plan sur un personnage hors champ. Ce qui nous permet de monter le début d’une prise avec la fin d’une autre, par exemple. Emmanuel aime aussi jouer au montage son en exploitant parfois le son d’une prise avec une autre à l’image, selon le rythme.

En terme d’organisation, comment se déroule une journée ?

LD : Généralement le matin on fait quelques "italiennes", avant le maquillage et coiffure. Ensuite, on discute avec Emmanuel sur la marche à suivre. Quand les comédiens reviennent, en général une vingtaine de minutes plus tard, la lumière doit être faite. Ce qui veut dire que je m’adapte la plupart du temps à la lumière naturelle, sauf bien sûr si une scène va durer dans le temps ou plusieurs jours dans le même décor. Là, j’essaie de couper toute lumière extérieure, pour me retrouver en conditions de studio. Mais la plupart du temps, j’essaie d’exploiter la lumière solaire avec ses variations, les scènes ne durant rarement plus que quelques heures dans le même lieu.

Gérer le soleil - Photo Pascal Chantier
Gérer le soleil
Photo Pascal Chantier

Pouvez-vous tourner dans l’ordre chronologique ?

LD : Non, on est forcé par contrainte budgétaire de rassembler les décors le plus possible. Par exemple sur Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, la deuxième chose à avoir été tournée était les adieux à la gare, qui est une des dernières grandes scènes du film. Le film a été tourné en sept semaines et demi, cinq jours par semaine sur Paris et six en province...

Parlez-nous du choix des décors...

LD : Par exemple, le bar où Camélia Jordana rencontre Vincent Macaigne a été très difficile a trouver. C’est l’équation entre le choix du lieu mis en relation aux faibles moyens que je peux avoir pour l’éclairer. Je me souviens avoir refusé beaucoup de propositions de décors pour cette scène car on ne voulait pas se retrouver dans un bar quelconque ni de devoir dépenser trop de temps ou de matériel pour le transformer.

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En gros, je voulais qu’on trouve un lieu qui puisse dégager une ambiance suffisamment forte en l’éclairant avec seulement deux Dedolight et en corrigeant les sources existantes. Et borgniolable en moins d’une heure. Quand on sait qu’on reste à peine trois heures dans ce genre de lieu, qu’il y a trois travellings à faire, avec des figurants... vous voyez les contraintes !

Un autre lieu délicat pour vous ?

LD : La scène dans la maison de campagne d’Émilie Dequenne. On tournait de très longs plans-séquences, avec une nécessité de raccord, mais avec des moyens techniques très légers. Une configuration qui devrait être celle d’un studio mais tournée dans une petite maison en pleine forêt, avec de fréquents écarts de lumière solaire sur les découvertes. J’ai travaillé sur cette scène au spotmètre en permanence, pour ajuster les contrastes entre les fonds et les personnages... Trois jours de gros stress dans ce décor très petit. En tournant pour le coup exactement dans l’ordre de narration au sein de la scène.
Une scène en extérieur semble assez représentative du cinéma d’Emmanuel Mouret : c’est l’explication entre Niels Schneider et Vincent Macaigne , en extérieur jour au milieu d’une arche circulaire en pierre…

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Une des raisons de ce choix vient du cinéma de Woody Allen. Dans ses grands films, comme Manhattan ou Annie Hall (photographiés par Gordon Willis), il y a toujours ce souci du décor qui est en permanence à couper le souffle. Histoire d’insuffler à la scène quelque chose en plus... En fait, je m’aperçois que ce sont presque des décors de James Bond que l’on cherche avec Emmanuel !
Cette scène en particulier était à l’origine écrite pour se dérouler en haut d’une montagne, à l’issue d’une ascension par les deux comédiens. Comme la météo n’était pas avec nous sur la semaine programmée, on a laissé tomber cette idée et on s’est mis à chercher un lieu "à part" dans les parages où l’on tournait... C’est là où ce décor avec cette arche de pierre s’est imposé.

Quel a été votre choix d’optiques ?

LD : On avait fait Mademoiselle de Joncquières en anamorphique, avec les Cooke Xtal Xpress qui m’ont ravi par leur rendu. Pour Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, l’idée de départ était de venir en rupture avec ça, et de filmer carrément en 1,37. Mais les choses avançant dans la prépa du film, Emmanuel a finalement décidé de revenir au Scope anamorphique, à trois semaines seulement du début du tournage ! Comme vous l’imaginez, changer de série d’optiques vers du Scope n’a pas été chose facile en si peu de temps.

Laurent Desmet - Photo Xavier Lambours
Laurent Desmet
Photo Xavier Lambours

Finalement, Alexis Petkovsek de Panavison m’a proposé de faire le film avec la série B (une série Scope des années 1960 remise à l’honneur par Bill Pope, ASC, en 2013 sur Le Dernier Pub avant la fin du monde). Après quelques essais, tout le monde était très content, surtout Emmanuel qui voulait une image très douce, avec pas mal de flare. C’est donc cette décision de dernière minute qui a pas mal compté pour moi dans l’image finale. J’ai également utilisé un Mitchell A pour adoucir parfois encore un peu plus… Presque tout étant tourné avec une seule focale de 85 mm. Le tout installé sur une Alexa SXT.

Un mot sur l’étalonnage ?

LD : Notre méthode est toujours la même depuis plusieurs films : je passe en général une semaine à trouver le ton seul avec Serge Antony, l’étalonneur. Pour ensuite le présenter, un peu comme on présente un premier montage au réalisateur. Je préfère avancer vite et faire le film dans les grandes lignes pour pouvoir ensuite discuter ensemble et affiner sur des choses plus précises. Comme il y a des séquences sur lesquelles je sais pertinemment que le travail d’étalonnage va être plus décisif que sur d’autres, je préfère également commencer par celles-ci, pour aller ensuite plus vite sur d’autres. Pas mal de masques peuvent être faits, par exemple, sur les visages, pour compenser parfois le manque de temps au tournage.

(Propos recueillis par Michel Abramowicz, AFC, et François Reumont, pour l’AFC)

  • Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait
    Réalisation : Emmanuel Mouret
    Production : Moby Dick Films
    Directeur de la photographie : Laurent Desmet
    Chef décorateur : David Faivre
    Costumières : Hélène Davoudian et Bénédicte Mouret
    Cheffe maquilleuse : Alice Robert
    Son : Maxime Gavaudan, François Méreu et Jean-Paul Hurier
    Montage : Martial Salomon