Le directeur de la photographie Mathieu Bertholet parle du tournage de "L’Été éternité" pour Panavision France

by Panavision Alga Contre-Champ AFC n°334

Le directeur de la photographie Mathieu Bertholet parle du tournage de L’Été éternité, d’Emilie Aussel, tourné avec les moyens techniques de Panavision Marseille.

Comment avez-vous été impliqué dans le projet ?
Mathieu Bertholet : J’ai rencontré Emilie Aussel, réalisatrice de L’Été l’éternité, en 2013, pour son projet de court métrage Petite blonde. Ce film fut notre première collaboration. Ensuite, nous avons à nouveau travaillé ensemble pour Ta bouche mon paradis (2016), court métrage en collaboration avec l’École régionale d’acteurs de Cannes (ERAC). C’est à cette époque qu’Emilie a commencé à me parler de son projet de long métrage alors intitulé Mourir jeune. Régulièrement, nous échangions sur le projet, je lisais les différentes versions du scénario et, petit à petit, au fil de nos discussions, se construisait l’idée générale de ce que pourrait être le film, ses ambiances, ses décors… En 2019, Thomas Ordonneau (producteur) et Shellac Films ont décidé de lancer la préparation du film et c’est logiquement que j’ai accepté de suivre Emilie dans cette nouvelle aventure…

Comment décririez-vous le look du projet ?
MB : Pour ce film, je voulais m’éloigner d’une image trop naturaliste, celle qu’on applique souvent à un cinéma dit "réaliste", qui aborde la jeunesse, l’adolescence et ses émois. Il s’agissait pour moi de donner au film une identité visuelle, faite de couleurs, de contrastes. Ne pas avoir peur des lumières d’été, parfois dures. Traiter le réel, certes, mais le magnifier d’une manière ou d’une autre. Oser...

Paradoxalement, nous avions très peu de moyens techniques pour y parvenir. Il fallait donc choisir des décors, de jour comme de nuit, sur lesquels je puisse intervenir. Travailler en négatif. Couper des lumières existantes pour construire l’image souhaitée. Et ajouter par petites touches, une couleur, un contraste qui nous ferait entrer dans la fiction.

De g. à d. : Mathieu Bertholet, Emilie Aussel et Julie Aguttes (assistante mise en scène). - Photo : Pascale Anziani.
De g. à d. : Mathieu Bertholet, Emilie Aussel et Julie Aguttes (assistante mise en scène).
Photo : Pascale Anziani.


La scène de nuit dans le skatepark entre les personnages de Malo et d’Elias est tout à fait représentative de cette démarche. L’éclairage de ce lieu mélange plusieurs types de sources lumineuses (sodium, tubes fluos…). Les couleurs se marient. En coupant certaines sources, j’ai construit une ambiance de nuit que j’aime beaucoup. Je n’ai rajouté qu’un SL1 en contre avec un Cyan 30 pour compléter. Idem lorsque le personnage d’Eve se rend la nuit sur la plage pour chercher sa copine Lise… Le sodium éclaire la corniche et plonge la plage dans cette lueur jaune/orangée. Au lointain, quelques néons donnent une touche plus froide, dans des tons bleus/verts… C’est cette couleur que je reprends de manière très douce sur son visage…

En extérieur-jour, et notamment pour la longue séquence de plage au début du film, qui s’ouvre avec un soleil au zénith et se poursuit jusqu’à la tombée de la nuit, le principe était de respecter des horaires de tournage bien précis. Ainsi, chaque partie de séquence (la baignade, les discussions sur la plage, l’apéro, le bain en fin de jour…) a son identité propre. Ensuite, l’étalonnage numérique me permet d’accentuer ces petites différences, de marquer le temps qui passe, avec des contre-jours ensoleillés plus ou moins chauds selon l’heure, et des ombres qui, petit à petit, se refroidissent quand vient la fin de journée, puis la nuit…

Il y avait aussi pour nous cette idée très présente de filmer des visages comme si c’était des paysages… Prendre le temps de les regarder. Et tenter de faire se répondre visages et paysages, comme si les deux étaient liés les uns aux autres et participaient ensemble à l’expression des sentiments des personnages. Le décor du Palais Longchamp, à Marseille, avec ses grandes colonnes, va dans ce sens. Il donne au premier groupe d’amis qui entoure le personnage de Lise une dimension sacrée.

Y avait-il des références visuelles particulières que vous avez consultées pour vous inspirer ?
MB : Je n’avais pas de références visuelles précises… Disons plutôt qu’Emilie me donnait des directions vers lesquelles chercher. Des choses qu’elle aimait, qu’elle me demandait de regarder. A moi ensuite de me les approprier, de les "digérer" et de réfléchir à comment les rendre signifiantes pour notre projet et nos envies… Pêle-mêle, je citerais le cinéma de Gus van Sant, celui de Philippe Garrel, certaines peintures romantiques (Caspar David Friedrich), le travail photographique de Nan Goldin. Et puis quand même, un film qui personnellement m’a beaucoup nourri pour ce projet, American Honey, d’Andrea Arnold, photographié par Robbie Ryan. Il est, selon moi, l’exemple parfait d’une image qui sert le film, son propos, sa mise en scène et participe pleinement à son identité.

Qu’est-ce qui vous a amené à Panavision pour ce projet ?
MB : Je vis à Marseille depuis presque vingt ans. J’étais premier assistant opérateur lorsque je me suis installé ici. Très vite, j’ai été amené à rencontrer l’équipe de Panavision Marseille. J’ai préparé un très grand nombre de films avec eux. Petit à petit, au fil des années, une relation de confiance s’est installée entre nous. Quand j’ai commencé à travailler sur ce projet, cela m’a semblé tout naturel de me tourner vers eux et de faire appel à leurs services.

J’ai pu y faire des premiers essais filmés avant d’arrêter mes choix… Finalement, le film s’est tourné avec une F55, une série Zeiss GO et un zoom Fujinon 19-90 mm.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir directeur de la photographie et qu’est-ce qui vous inspire aujourd’hui ?
MB : J’ai un parcours extrêmement classique. Assistanat pendant une vingtaine d’années, puis cadre et direction de la photographie. Je crois beaucoup à ce parcours et ces bénéfices. Les années passées, "collé" à la caméra, tout près de l’opérateur et des acteurs, sont un extraordinaire moyen pour apprendre son métier. Apprendre à penser en termes d’images, de focales, de couleurs, de contraste, de densité, bref… apprendre le vocabulaire et la grammaire cinématographique. Et vient un jour où on a la sensation de pouvoir soit même utiliser ce vocabulaire, se l’approprier pour mettre en images et en lumière un scénario.

Ce qui m’inspire aujourd’hui, c’est d’abord une rencontre. Un ou une cinéaste qui va me convaincre que son regard sur une histoire mérite d’être raconté. A partir de ce moment-là, j’ai un plaisir immense à me fondre dans un imaginaire et à essayer, avec mes outils et ma propre sensibilité, de répondre à un désir de cinéma.

Et puis, enfin, il y a le plaisir jamais démenti de filmer les acteurs. Mettre l’œil à l’œilleton et être le premier spectateur de leur travail.