Le directeur de la photographie Matthias Helldoppler revient sur le tournage du clip vidéo "Other Side”, réalisé par Rupert Höller

La cinétique des troncs
Un bon clip repose souvent sur une idée de mise en scène. Pour "Other Side", titre du duo électro autrichien Camo & Krooked, le réalisateur Rupert Höller a décidé de mettre en scène l’aventure étrange d’une jeune femme à bord de son camping-car installé en bordure de forêt. Un clip où la lumière est actrice de la scénographie, offrant quelques ambiances nocturnes assez fantastiques. Le directeur de la photographie autrichien Matthias Helldoppler nous confie sa méthode pour ces jeux de lumière... (FR)

C’est quoi un bon clip pour vous ?

Matthias Helldoppler : Pour moi, c’est avant tout un projet qui propose un bon équilibre entre le morceau et le film. Si l’image prend trop le pas sur la musique, ça ne va pas. Il faut vraiment trouver ce dosage, tout en prenant en compte la réalité économique de la production de vidéo-clip depuis maintenant plusieurs années. Vous savez, c’est devenu la plupart du temps plus de la passion qu’autre chose... La juste rémunération n’est plus au rendez-vous, et sur chaque projet il faut aller convaincre son équipe de travailler sans trop compter, aux loueurs de fournir du matériel à des prix cassés... Tout ça parfois pour des labels pourtant reconnus... Ceci dit, le vidéo-clip est toujours une usine à idées, le prétexte d’essayer des choses qu’on ne fait pas toujours ailleurs, et un bon moyen en tant qu’opérateur de nourrir sa propre bande démo. Avec le réalisateur, Rupert Höller, que je connais bien, on a déjà pas mal tourné, et même si j’avais un peu décidé de faire un petit break avec les clips, j’avoue que le concept qu’il m’a présenté pour celui-là m’a convaincu de m’y remettre.

Ruppert Höller and Matthias Helldoppler
Ruppert Höller and Matthias Helldoppler


La lumière est en effet au centre de l’histoire...

MH : Oui, l’idée de départ était assez séduisante en tant que DoP... Un objet lumineux non identifié qui surgit au milieu d’une forêt et qui se met à la survoler... C’était un excellent point de départ pour moi. Bien sûr, l’idée d’utiliser un drone éclairant n’était pas complètement inédite, mais je trouvais que dans le cadre de cette petite histoire, où la lumière devient un des acteurs, c’était plutôt justifié et intéressant pour moi de trouver la meilleure façon de le faire.
La première chose à trouver, c’était naturellement la forêt, avec ces arbres très hauts, qui nous permettaient d’envisager des ombres portées spectaculaires. Après quelques repérages, on a trouvé l’endroit qui nous convenait, dans les environs de Vienne. Le souci de cette forêt, c’est qu’elle était située près d’une zone d’entraînement militaire, et que les autorisations nécessaires pour le drone devenaient soudain beaucoup plus compliquées. Néanmoins, on a réussi à obtenir le feu vert sur une parcelle assez étroite d’une dizaine de mètres qui appartenait à un particulier. Tout a donc été tourné à cet endroit, dans un périmètre en réalité très restreint. Concernant le camping-car, c’est quelque chose qui est venu après-coup, au fur et à mesure de la préparation. À l’origine, notre protagoniste était censée être dans une maison située au milieu de la forêt. Mais on n’arrivait pas à trouver une maison qui nous convenait avec la forêt idéale... C’est pour cette raison qu’on a soudain eu l’idée du camping-car, et c’est finalement beaucoup mieux comme ça, car la sensation de danger me semble bien plus présente quand on est dans un véhicule qu’à l’intérieur d’une maison.


Comment avez-vous éclairé cette forêt ?

MH : L’idée d’éclairer ce décor de nuit avec des moyens très limités n’était pas foncièrement rassurant pour moi. J’avoue avoir eu quelques nuits blanches avant de me lancer sur le tournage. En ce qui concerne le drone, je n’ai pas vraiment pu avoir de contrôle. C’était un système mis au point par le pilote sur son propre matériel, avec un patch de LEDs assez puissantes... Le temps nous manquant en préparation, je n’ai pas pu effectuer de tests en situation. Par chance, le niveau lumineux était suffisant, et nous n’avons pas rencontré trop de difficultés à l’étalonnage. Pour le reste, j’ai utilisé essentiellement des HMI et des SkyPanels en réflexion, plus un petit ballon pour me servir de keylight. Une bascule s’effectuant entre les plans à l’intérieur du camping-car, où la lumière venant de l’extérieur est alors très directive avec des Fresnel à nu. Tandis que la lumière s’adoucit et devient plus omnidirectionnelle quand la jeune femme sort du véhicule.

Fabian Meller, Steadicam op.
Fabian Meller, Steadicam op.


Shooting in the forest
Shooting in the forest



Sur combien de temps avez-vous tourné ?

MH : Le clip a été tourné sur deux jours, le premier étant dédié aux intérieurs, tandis que le second à tout ce qui se passe dehors dans la forêt, et bien sûr avec le drone. Comme j’avais besoin de sensibilité, j’ai choisi de tourner avec la caméra Sony Venice à 2 500 ISO pour la plus grande partie des plans, et en poussant à 5 000 pour ce qui concernait les plans éclairés par le drone. Autre détail, pour donner encore plus de présence aux effets de lumière, comme par exemple dans ce premier plan où la lumière surgit au loin de derrière le véhicule, j’ai opté pour une série Blackwing 7 en version X. Des objectifs très particuliers, qui provoquent ce genre d’effets, avec toute une série de réflexions en interne (ils ont des parties blanches à l’intérieur même de l’optique !)... Sans doute pas des objectifs à tout faire, mais en tout cas très appropriés pour ce qu’on recherchait avec Ruppert. À peu près tous ces flares que vous voyez dans le clip ont été générés à la prise de vues. Les seules retouches qu’on a été amené à faire sur l’image en post sont par exemple l’effacement des lumières de position rouges et vertes du drone quand il est dans l’image, ou l’adoucissement et une sorte de halo autour du faisceau pour casser un peu la dureté naturelle de cette barre de LEDs...

The drone, flying
The drone, flying


La gestion du drone a-t-elle été facile ?

MH : Malgré la hauteur assez conséquente des arbres et la difficulté relative de pilotage de l’engin dans cette situation, on s’en est plutôt bien tiré. La machine - un robuste octocoptère -, avait une quinzaine de minutes d’autonomie en vol, et environ cinq minutes pour la lumière. On avait donc un switch en remote qui nous permettait d’allumer la barre de LEDs uniquement le temps de chaque prise, et ainsi économiser les batteries. La seule chose qui n’a pas parfaitement fonctionné, c’est une sorte d’effet de spirale qu’on voulait effectuer sur le dernier plan de la part du drone. Malheureusement la barre de LEDs a eu une panne à ce moment-là et on a dû se contenter du début de la prise, avant que la panne ne survienne. Heureusement, on avait déjà beaucoup de choses dans la boîte et ça ne nous a pas gêné plus que ça...

Pour les intérieurs dans le camping-car, j’ai utilisé des petites sources Aputure MC, qui ont la taille d’un téléphone portable, auto alimentées et contrôlées en WiFi par iPad. Très pratiques. Elles m’ont servi non seulement à tricher les sources de figuration, mais aussi à faire des effets, comme quand les casseroles se mettent à leur tour à émettre de la lumière... En plus, j’ai aussi utilisé quelques tubes Astera Titans et Helios dans le camping-car, ainsi que mes SkyPanels, mes HMI et une découpe Source 4 à l’extérieur.

Matthias Helldoppler operating
Matthias Helldoppler operating


(Propos recueillis par François Reumont, pour l’AFC)


https://youtu.be/IS8PuJHZF-Q