Le directeur de la photographie Nicolas Gaurin parle de son travail sur "Confessions d’un enfant du Siècle" de Sylvie Verheyde

Le 19e siècle à travers la caméra Alexa

par Nicolas Gaurin

Nicolas Gaurin est issu des rangs de La fémis (promotion 1999). Après quelques années d’assistanat et des films courts en tant que chef opérateur, il signe son premier long métrage en 2005 Douche froide, d’Anthony Cordier. En 2007, il rencontre Sylvie Verheyde à l’occasion d’un téléfilm pour Arte Sang froid, puis continue sa collaboration avec elle sur Stella l’année suivante.
Depuis il a également signé l’image de Happy Few, d’Anthony Cordier, Notre étrangère, de Sarah Bouyain et Memories Corner, d’Audrey Fouché.
Confessions d’un enfant du Siècle est adapté de l’unique roman d’Alfred de Musset ; il marque notamment les débuts à l’écran de la rock star britannique Pete Doherty dans le rôle principal.
Nicolas Gaurin à l'œilleton de la caméra - Tournage de <i>Confession d'un enfant du Siècle</i>
Nicolas Gaurin à l’œilleton de la caméra
Tournage de Confession d’un enfant du Siècle

Comment avez vous préparé ce film ?

Nicolas Gaurin : Sylvie et moi voulions surtout éviter de faire un film " répertoire " sur l’époque. Un film qui aurait cherché à s’approcher au plus près de la peinture contemporaine du XIXe. Quand on veut faire ce type de film, le premier réflexe est de vouloir coller au plus près de la réalité de l’époque qu’on aborde.
On se réfère presque systématiquement au patrimoine pictural comme si la peinture représentait fidèlement la réalité de l’époque or le traitement visuel, que ce soit en peinture ou en film, n’est pas dicté par un souci de réalisme mais plutôt pensé en fonction du sujet, du point de vue et du moment où a été fabriquée l’œuvre artistique.
Le film de Sylvie est avant tout l’histoire d’une quête existentielle, d’une recherche éperdue d’un amour idéal. C’est à partir de ce constat que s’est construit mon travail de préparation.

Aviez-vous des références ?

NG : J’ai revu de nombreux films dont Tess de Polanski, Bright Star de Jane Campion ou Barry Lindon de Kubrick. J’ai aussi cherché du côté de la photographie du début du XXe siècle, notamment Heinrich Kuhn qui m’a beaucoup influencé par ses recherches pictorialistes qui indiquaient une voie à suivre, celle d’un monde diffus où les détails se perdent.
Cela correspondait à l’interprétation que j’avais du scénario, une histoire où les sentiments se mêlent, les personnages sont au centre d’un tourment amoureux qui devient l’élément principal en effaçant l’environnement. Le choix de tourner principalement à l’épaule a permis de se concentrer sur les comédiens et de s’éloigner de la tentation de faire " des tableaux " en oubliant l’histoire.

Photographie pictorialiste de Heinrich Kuhn
Photographie pictorialiste de Heinrich Kuhn


Le budget étant réduit, on a essayé de profiter au maximum des lumières exceptionnelles et de la météo. Les extérieurs dans Tess sont magnifiques, j’ai gardé à l’esprit ces images pendant le tournage pour faire des conditions météo un allié.
Sylvie est très rapide et s’adapte parfaitement aux imprévus, cela m’a permis de tourner dans des lumières rares comme une fin de jour, un brouillard temporaire ou de la neige. Nous avons filmé très vite ces séquences dans la chronologie, en plans séquences et parfois en un seul plan comme la séquence de l’enterrement où le brouillard a disparu en quelques minutes. C’est très agréable d’obtenir de telles ambiances car c’est souvent difficile à obtenir dans le cadre d’un tournage de fiction au plan de travail serré, c’est une approche presque documentaire.

Le film se divise en deux parties, la vie d’Octave à Paris, faite de réceptions et de rencontres éphémères, et son histoire d’amour avec Brigitte en province, faite d’introspection et d’intimité. La séparation visuelle des deux parties a été faite par le choix d’éliminer les couleurs vives du décor Brigitte, Thomas Grézaud (le chef décorateur) a travaillé uniquement sur des tons beiges et pastels. Pour les décors Paris, les couleurs sont plus vives.
Le décor Brigitte est uniquement éclairé de l’extérieur à travers les fenêtres calquées. La surexposition des entrées de lumière isole le couple dans un monde intérieur, rien ne vient troubler leur histoire si ce n’est les tourments d’Octave. Barry Lindon a influencé cette partie de l’histoire par l’utilisation de sources extérieures laissant les décors vides, le halo venant des fenêtres m’a semblé aussi intéressant. J’ai utilisé un filtre Low Contrast pour renforcer ce halo venant des fenêtres comme si la lumière extérieure venait attaquer les visages d’Octave et de Brigitte, une sorte de menace extérieure liée à la lumière.
Pour les intérieurs Paris, la lumière est plus " contemporaine " avec un mélange de sources, une présence de l’extérieur plus forte et une diffusion liée à l’utilisation de fumée. L’influence est plus du côté des films de Jane Campion.

Quels ont été vos choix en terme d’optiques ?

NG : On a tourné en partie en Allemagne et en France, avec du matériel venant de Munich.
Au départ, je pensais utiliser une série Zeiss T2.1 avec des filtres de diffusion, et puis les images des essais étaient encore trop contrastées et piquées. Voyant mon insatisfaction, Arri Munich m’a proposé une vieille série Cooke S2 qui prenait la poussière sur une étagère... J’avoue que je ne les connaissais pas, c’est là qu’on a obtenu l’image demandée par Sylvie.
J’avais aussi dans l’idée d’utiliser de très anciens objectifs de chambre, pour retrouver la diffusion naturelle et les aberrations chromatiques, de coma, en se rapprochant du rendu de la photo pictorialiste du début du XXe à la limite du flou. Pour ça, j’ai récupéré une optique anglaise de la fin du XIXe (un objectif Ross) qu’on a pu adapter, via un soufflet, sur l’Alexa. La dynamique du tournage comparée à la lenteur de la mise en place de cette optique ne m’a pas permis de l’utiliser sur ce film. Seul un plan a été tourné avec mais il n’a pas été monté.

Objectif Ross (London)
Objectif Ross (London)
Plan tourné avec l'objectif Ross
Plan tourné avec l’objectif Ross


Et la scène de rêve ?

NG : J’ai utilisé un " lens baby " sur cette scène de rêve et un vignettage réalisé à la prise de vues en plaçant du Permacel sur le filtre. Dans cette séquence on ne sait pas trop si c’est un rêve ou la réalité perturbée par le malaise d’Octave, c’est une vision subjective d’un être malade.

Pourquoi avoir choisi l’Alexa ?

NG : Le choix de l’Alexa a d’abord été un choix de production ; Sylvie voulait résolument tourner en film, et puis les devis à la baisse s’enchaînant, on a dû passer du 35 Scope au 2p, puis au numérique... Le film a été tourné en ProRes, sur les cartes mémoire embarquées.
La question s’est posée de la pertinence du numérique pour tourner un film dont l’action se déroule en 1830, la réponse a été donnée par des contraintes de production mais je pense qu’au fond cette question renvoie au regard qu’on porte sur ces époques. Un regard influencé par l’histoire de l’art et par le respect d’un patrimoine sacré qui obligatoirement devrait être photographié par un médium noble qui s’inscrit dans cette histoire comme le 35 mm. Une analyse fausse à mon avis, tant d’un point de vue technique que d’un point de vue éthique. L’Alexa et les autres caméras numériques s’inscrivent dans l’histoire de l’art et de ses techniques autant que le 35 mm, ensuite il n’y pas de " hiérarchie artistique " à envisager dans les supports de prise de vues.

En ce qui concerne la sensibilité, j’ai pris la plupart du temps la caméra à 800 ISO, mais quelques extérieurs nuits en Allemagne (comme celle ou le personnage déambule dans la ville) ont été tournés à 1 600. Quelques scènes ont même été tournées uniquement avec des bougies, mais le réglage à 800 a suffi, même avec des optiques qui ouvrent à 2.5. J’ai demandé à la déco de fabriquer trois structures qui pouvaient porter une trentaine de bougies et qui m’ont servi de sources hors-champ pour certaines séquences.

Vous parliez de diffusion lors des essais, avez-vous conservé ces filtres au tournage ?

NG : Je suis parti lors des essais sur une base combinée entre un Low Contrast (pour créer une diffusion des hautes lumières) et un diffuseur Mitchell (pour les visages), que j’ai choisi de conserver sur les Cooke S2. Finalement, en conditions réelles sur le tournage, ça a créé en intérieur jour une désaturation assez forte des couleurs sur l’image numérique, notamment sur les peaux. Un effet qui m’a un peu surpris lors de l’étalonnage du film, et qui heureusement plaisait à Sylvie... Mais je dois reconnaître que c’est un risque de diffuser beaucoup en Alexa, surtout à cause de cette perte de couleur qui en découle.

Quels projecteurs avez-vous utilisés principalement ?

NG : Pas mal de Lucioles de Maluna accrochées au plafond, branchées sur jeux d’orgue, de manière à jouer sur les niveaux en fonction de la place de la caméra. C’est un dispositif qui marche particulièrement bien quand on filme à l’épaule, parce que si le chef électro sait anticiper les mouvements du cadre, on peut totalement rendre ces variations invisibles... et conserver le contraste tout en changeant d’axe. Parfois j’ai dû aussi placer une Luciole sur perche afin de suivre physiquement la caméra.

Installation de Lucioles
Installation de Lucioles


Pour certains décors exigus, j’ai utilisé parfois des ampoules électriques nues, ou juste à peine diffusées. En intérieur, j’ai utilisé aussi un mini Lite Panel placé sur la caméra de façon à redonner une lumière dans les yeux. C’est un accessoire dont je me sers souvent quand je travaille à l’épaule sur des plans séquences et dont je fais varier l’intensité pendant le plan.
Le tournage ayant eu lieu en janvier, les journées étaient très courtes. J’ai eu recours souvent à des Goya 6 kW, ce qui me permettait d’assurer une certaine continuité dans les entrées de lumière par les fenêtres. En extérieur, j’ai aussi sorti de vieux Pars survoltés Cineking qui m’ont permis d’éclairer entres autres les arrière-plans d’une séquence nocturne avec une calèche.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)