Le directeur de la photographie Paul Sarossy parle de son travail sur "Captives", d’Atom Egoyan

Captives : un thriller par - 40°

Paul Sarossy et Atom Egoyan forment l’un des tandems les plus fidèles du cinéma mondial en matière d’image de film. Depuis 1989 et Speaking Parts, le cinéaste de Toronto a confié la mise en image de tous ses films à son ami. Vingt-cinq ans plus tard, et avec près de douze longs métrages ensemble, ils sont de nouveau au programme de la Compétition officielle avec Captives, un thriller tourné dans le nord de l’Ontario.
Paul Sarossy et Atom Egoyan - DR
Paul Sarossy et Atom Egoyan
DR

Comment s’est déroulée la production de Captives  ?

Paul Sarossy : Le film est sensé se passer à Niagara Falls mais pour diverses raisons logistiques on a filmé la plupart des scènes à Sudbury, une petite ville à 400 km au nord de Toronto. Le tournage s’étant déroulé en plein hiver, la difficulté principale était les - 40° qu’on pouvait avoir dehors. Même à Toronto, tourner en hiver n’est pas toujours facile, mais à Sudbury c’était vraiment dur.
Comme il n’ y a pas de plateaux là-bas, certains décors comme le poste de police ont du être reconstruits dans une ancienne école. Tout est tourné en décor naturel, en s’adaptant aux conditions locales.

Étiez-vous au courant du film de l’autre cinéaste canadien Denis Villeneuve, Prisoners, qui parle également de kidnapping d’enfant ?

PS : Captives s’est tourné au tout début de l’année 2013. Denis Villeneuve n’avait pas encore sorti le sien. C’est effectivement une coïncidence que les deux films se fassent à quelques mois d’intervalle sur une situation de départ presque commune. Le hasard de la production des films !

Avez-vous rencontré des situations inédites de prise de vues sur ce film ?

PS : Je crois que la chose la plus inédite, c’est une séquence de poursuite de voitures qui, dans un film d’Atom, pourraient presque passer sur le papier comme un anachronisme !
Bon, là, c’est très sérieux, c’est même une scène capitale dans la construction dramatique du film. On a donc essayé de faire du mieux qu’on pouvait, surtout sur la tension et le suspens, sans viser forcément le côté spectaculaire... Le gros problème a été pour moi d’assurer le raccord lumière sur les trois jours consacrés à cette seule scène. Beaucoup de choses, dans ce cas de figure, reposant sur l’étalonnage numérique car la logistique des moyens l’emporte souvent sur le pur aspect de la lumière ou de l’image.
En termes de machinerie, on a eu à notre disposition – outre une voiture traveling avec " low loader " – le système Russian Arm qui est composé d’un 4x4 Mercedes supportant sur son toit un bras de grue qui peut aller jusqu’à 6,50 mètres. J’ai aussi utilisé le petit buggy Commander, qui est un véhicule tout terrain à deux places, équipée d’une potence à l’avant sur laquelle évolue une autre tête gyro-stabilisée. Ces deux systèmes embarqués nous ont permis de ramener tous ces plans très dynamiques où la caméra suit ou se balade littéralement d’une voiture à l’autre en pleine poursuite.

Et le froid n’a pas gêné la caméra ?

PS : Étrangement, on aurait pu croire que l’électronique de l’Alexa serait très sensible au froid mais avec les protections classiques, ça s’est bien passé. La seule chose à laquelle on a du faire très attention, c’est les changements de température et la condensation interne qui peut se produire dans les optiques quand on passe d’un lieu très froid à un lieu plutôt chaud et un peu humide.

C’est le premier film en numérique pour Atom Egoyan ?

PS : En fait, c’est le deuxième film fait en numérique après The Devils Knot que nous avions tourné en 2012. Atom s’est littéralement adapté en l’espace d’un jour à la méthode numérique. Sur Devils Knot, c’était de toute façon la chose à faire car on avait 140 pages de script à tourner en vingt-cinq jours avec 80 personnages…
Ne serait-ce que par le temps gagné sur l’autonomie des Alexa, et leur rapidité quand on change de carte. En plus tourner à deux caméras était très fréquent, un peu comme une approche de téléfilm.

Pour Captives, on est revenu plus à un tournage classique à une caméra, avec une discipline de tournage film, assez peu de prises tout en bénéficiant de la souplesse du numérique. En tout, le film nous a pris une trentaine de jours à faire.
On a utilisé l’Alexa en ProRes et en 2,35 sphérique, avec des optiques Cooke S4. De toute manière le budget ne nous permettait pas vraiment de nous offrir une chaîne de traitement RAW ni une prise de vues anamorphique.

La bande annonce montre un décor de chambre d’hôtel avec une large découverte sur la ville... Comment avez-vous géré le très grand contraste entre l’intérieur et l’extérieur ?

PS : C’est toujours un dilemme pour arriver à trouver le bon équilibre dans ce type de décor. On a tourné dans une chambre d’hôtel située au 20e étage et c’est impossible de reéclairer par dehors. On essaie de mettre le minimum de lumière à l’intérieur, en exploitant au maximum la latitude de pose – que je trouve assez phénoménale sur l’Alexa.
De toute façon, vu le nombre de vitres, on est également confronté aux réflexions des projecteurs. A ce sujet, je crois qu’on a pas mal appris ensemble sur Chloé, un film ou les personnages évoluaient sans cesse dans des lieux ouverts sur l’extérieur, avec des découvertes, des parois en vitres...

Un autre plan en extérieur nuit au moment de l’assaut sur la maison exploite la seule luminosité bleue du ciel en arrière plan...

PS : Une chose qui est formidable avec Atom, c’est qu’on peut lui faire confiance pour respecter le plan de travail, et notamment exploiter le créneau du crépuscule pour les plans importants.
Je me souviens par exemple que sur De beaux lendemains, on finissait chaque jour par une série de plans entre chien et loup qui ont servi magnifiquement le film au montage. Là, c’est un peu pareil... Ce plan est tourné juste au bon moment de façon à conserver une certaine luminosité dans le ciel et suffisamment de profondeur dans l’ambiance nuit... Ça me permet aussi le mélange de couleurs dans l’image, ce que j’aime beaucoup en éclairage nocturne.

En dehors de votre collaboration avec Atom Egoyan, vous avez aussi récemment participé à des séries télé... Comment voyez-vous évoluer la relation entre les deux mondes ?

PS : Le monde du cinéma et celui de la série télé se sont énormément rapprochés durant ses dix dernières années. Beaucoup de gens qui travaillaient dans le cinéma indépendant se sont mis à intégrer des projets de séries, dont le niveau de qualité et simplement le volume de production a explosé.
En termes techniques, la révolution numérique a fait converger les deux mondes si bien que maintenant on tourne à peu près avec le même matériel ou les mêmes chaînes de postproduction. Sur une série que j’ai faite comme Les Borgias (avec Neil Jordan) par exemple, je peux vous dire que le niveau de confort en termes de production commence même à s’inverser entre ces deux univers... Passer de l’un à l’autre peut même parfois paraître un peu étrange pour moi !

Après tous ces films tournés ensemble, comment arriver encore à se surprendre ?

PS : D’abord le sujet de ce film en particulier nous a tous les deux touchés personnellement, en tant que parents. Tout père ou toute mère a un jour ressenti la peur ou la panique à l’idée que son enfant puisse soudain être kidnappé, et explorer un tel sujet ne laisse pas indemne. A part l’évolution des techniques, je ne sais pas par exemple si le film aurait été le même si on l’avait fait il y a 25 ans en arrière...
A part ça, cette longue collaboration avec ce collègue qui est devenu un ami m’étonne chaque jour. On partage tellement de goûts ensemble, par exemple en matière de cinéma, que c’est toujours un plaisir de se retrouver et de partager nos passions, nos trouvailles !
Même si on a à peine le besoin de se parler sur le plateau tellement les choses sont devenues intuitives, lui assis à l’arrière de la Dolly et moi aux manivelles, il n’en reste pas moins que la soif de découverte reste intacte pour nous deux. C’est vraiment une chance incroyable pour moi de pouvoir prendre part à ce processus à chaque fois.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)