Le directeur de la photographie Philippe Rousselot, AFC, ASC, parle de son travail sur "The Nice Guys", de Shane Black

by Philippe Rousselot

C’est pour The Nice Guys, projeté Hors compétition sur la Croisette, que le directeur de la photographie et réalisateur Philippe Rousselot, AFC, ASC, collabore pour la première fois avec Shane Black – le réalisateur d’Iron Man 3 et de Kiss Kiss Bank Bank –, expérimente la comédie… et tourne son premier long métrage en numérique !

Alors qu’il compte 65 longs métrages à son actif, remporte l’Oscar de la Meilleure photographie pour Et au milieu coule une rivière, de Robert Redford, mais aussi trois César pour La Reine Margot, de Patrice Chéreau, Diva, de Jean-Jacques Beineix, et Thérèse, d’Alain Cavalier, Philippe Rousselot poursuit une époustouflante carrière des deux côtés de l’Atlantique et relate son expérience sur ce film aux couleurs "seventies". (BB)

Los Angeles. Années 1970. Deux détectives privés enquêtent sur le prétendu suicide d’une starlette. Malgré des méthodes pour le moins "originales", leurs investigations vont mettre à jour une conspiration impliquant des personnalités très haut placées…
Avec Ryan Gosling, Russell Crowe, Kim Basinger.

Shane Black et Philippe Rousselot - DR
Shane Black et Philippe Rousselot
DR

Quelles ont été tes inspirations pour ce film qui se passe en 1970 ? As-tu revu des films de cette époque-là ?

Philippe Rousselot : Je n’ai pas eu besoin de regarder des films des années 1970 car il y a une partie de ces films que j’ai faits moi-même ! De toutes façons, ce sont des années de bouillonnement visuel et stylistique… On peut dire qu’il y a un style des années 1930-40, mais pas dans cette période… Il n’y a pas deux films des années 1970 qui se ressemblent.
Je n’ai pas besoin de m’inspirer car ce qui m’inspire, c’est ce que je vois. C’est un film de Shane Black, tourné en 2015, et plutôt que de m’intéresser à un cinéma d’une époque qui n’existe plus, je préfère m’intéresser à un scénario, regarder ce que j’ai en face de la caméra et me poser la question de comment photographier tout cela pour que ça marche. Ce film a trois casquettes, c’est un thriller, un film d’action et une comédie. Ça ne sert à rien de regarder des films de Lelouch ou de Just Jaeckin (Emmanuelle, Histoire d’O) des années 1970.

Tu ne voulais pas non plus retrouver la manière de filmer de cette époque…

PR : Dans les années 1970, on faisait des cascades avec deux plans ou on faisait des zooms… Ce serait ridicule de tourner deux plans pour une cascade à notre époque ! Non, il faut être efficace, donner du matériel pour le montage.
Shane Black est surtout un scénariste mais il a porté une grande attention aux décors, aux costumes, aux voitures. Et là, c’est logique d’être avec une palette de couleurs qui correspond aux années 1970. Dans ce cas de figure et pour ce genre de film, mon rôle est de mettre la caméra là où l’on voit, là où les choses s’expriment, là où l’on comprend. C’est presque du documentaire qu’il faut faire (Rires) !

De g. à d. Tom Marvel, opérateur, Philippe Rousselot, Nilo, assistant mise en scène, et Shane Black - Photo Daniel McFadden
De g. à d. Tom Marvel, opérateur, Philippe Rousselot, Nilo, assistant mise en scène, et Shane Black
Photo Daniel McFadden

Le film se passe entièrement à Los Angeles, mais vous avez beaucoup tourné à Atlanta. Qu’est-ce que cela a t-il impliqué ?

PR : Nous avons tourné beaucoup d’extérieurs à Los Angeles et les intérieurs à Atlanta. Il y a eu un décor plus complexe à tourner, où nous avons eu souvent des fonds verts pour des scènes assez longues dans une maison qui est censée être à Bel Air, à LA. Il fallait voir le "Grid", les lumières de la ville vues du haut de la colline. Cette maison était entourée d’une forêt, il a donc fallu éliminer cette forêt. C’était un peu compliqué parfois car on avait du mal à mettre les fonds mais grâce à des échanges de bons procédés entre la caméra et les effets spéciaux, c’est plutôt très réussi. Il a fallu aussi "nettoyer" l’image pour éliminer les éléments visuels qui n’étaient pas de cette époque.

Tu as une expérience du numérique en publicité mais c’est ton premier long métrage sans pellicule !

PR : Oui, effectivement ! J’ai profité de la sensibilité de la caméra pour tourner les nuits à 1 280 ISO, ce qui nous a aidés à travailler plus efficacement en éclairant moins. Il y a eu beaucoup de décors où j’ai utilisé des panneaux de LEDs, surtout dans les décors naturels, car on peut se brancher directement dans les maisons.
J’ai suggéré à Shane de tourner en anamorphique. Je savais que l’anamorphose adoucit les angles, gomme un peu le côté froid du numérique.
A l’étalonnage, nous n’avons rien fait d’extraordinaire, nous n’avons même pas ajouté de grain !

Filmer à deux caméras pour les scènes d’action s’envisage aisément, mais pour les scènes de dialogue, cela ne te pose pas de problème ?

PR : Pour les scènes d’action, bien sûr, on gagne du temps si on est bien organisé. Pour les scènes de jeu, si on filme les deux interlocuteurs en même temps, ça permet de raccorder vraiment bien au montage, ça donne une dynamique au jeu. C’est un bénéfice pour tout le monde, car les comédiens ne sont pas obligés de répéter leur texte hors cadre. On gagne en qualité.

BB : Mais ça oblige à éclairer pour deux axes ?

Oui, bien sûr, c’est une position un peu scabreuse. C’est-à-dire que je fais une proposition et puis, si je me tire une balle dans le pied, j’arriverai toujours à m’en sortir. (Rires) Ou alors c’est que le plan ne tient pas la route, de toute façon…
Et si ça pose de gros problèmes, on peut toujours dire qu’on a changé d’avis…

On peut dire que dans The Nice Guys, il y a plusieurs styles de lumière ?

PR : Oui, effectivement ! Pour certains films, il faut bien sûr une unité de style. Mais pour ce genre de film, avec beaucoup de décors, de monde, d’actions, il faut au contraire sans arrêt des changements pour relancer l’attention, il faut réveiller le public !
Mais cela avait à voir avec ce que j’avais à filmer, je le répète ! De toute façon, le réel est toujours supérieur à la volonté du chef op’ et à toutes les théories du monde. Même en studio on filme du réel, les comédiens sont toujours des êtres humains avec un nez au milieu de la figure… Si je veux tout créer, je fais de la peinture ou de la sculpture mais je ne peux pas faire du cinéma. J’ai toujours lutté contre cette image du chef op’ démiurge…

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)