"Le milieu n’est plus un pont mais une faille"

Agnès Godard, directrice de la photographie, AFC
C’est le titre du rapport de synthèse du Club des 13 daté de février 2008. Prémonitoire ? Ce titre reflète la réalité d’aujourd’hui…
Il n’était pas censé signifier cela, tout a glissé…

Où est le milieu ? Entre metteurs en scène et techniciens et producteurs.
Qu’est le milieu ? Un film.
Aujourd’hui tout est cloisonné.
Aucun pont.
Je ne comprends plus rien.

Ne sommes-nous pas supposés travailler ensemble ?
Tous ?
Les techniciens qui participent à la fabrication des films.
Lorsque des informations me sont parvenues de France, j’étais à l’Université de Berkeley, invitée à participer à un programme intitulé " Behind the Scenes " : présentation du métier de directeur photo, projections de films, débat à l’issue des projections.
Le public est venu et revenu chaque soir, montrant un intérêt, participant et jouant le jeu de regarder les films à travers le prisme de ce métier. Les impressions décrites, les remarques, les questions traduisaient la compréhension, l’attrait de la collaboration.
C’est cet aspect qui a été le plus apprécié, le plus développé, le plus fouillé, à la recherche d’un enrichissement.

Pendant ce temps, je lisais les informations qui me parvenaient décrivant l’opposé pour un très grand nombre : le cloisonnement, pour ne pas dire l’adversité.
Comment cela est-il possible ?
J’ai recherché un passage du livre de Ingmar Bergman, Images, que j’avais en mémoire : « Sven est Sven. Si parfois il arrive que mon activité de cinéaste me manque, c’est uniquement la collaboration de Sven qui me manque ».
Il n’a pas employé un mot qui désigne une fonction et des chiffres dans des colonnes, " le chef op’ ", il a employé son nom, celui de la personne qui a travaillé, réfléchi avec lui, pas contre lui.
Et si c’était là qu’était le premier fil à tirer ?
Le travail en commun.
Parce que c’est comme ça, la fabrication d’un film, beaucoup de personnes y participent et s’y engagent.
Ça s’appelle une équipe.

Cela n’aiderait-il pas à réunir ces îlots clos, à n’en créer qu’un seul, exempt de ce goût d’offense que l’on peut deviner parfois à l’évocation d’un travail en commun.
N’est-ce pas le plus important à transmettre à ceux qui vont arriver ? S’enrichir à mettre en commun et non s’appauvrir à s’affronter.
Cela me semblerait plus constructif pour contourner l’application de « la loi de l’emmerdement maximum », implacable, pour citer Raoul Coutard dans Le Petit soldat.