Le rapport Kriegel très critiqué par les cinéastes, ils redoutent de voir leurs créations censurées

par Laurence Girard

La Lettre AFC n°116

Se gardant de conclusions trop hâtives, M. Aillagon donnant mandat à la Direction du développement et des médias qui dépend de Matignon, a affirmé que ces conclusions appelaient « à un examen et à une concertation professionnelle du secteur », en mettant en balance « les devoirs à l’égard de la jeunesse et ceux à l’égard de la singularité de la création ».

Cette volonté affichée d’être à l’écoute des professionnels du cinéma ne semble pas superflue. Les cinéastes se sont sentis, en effet, particulièrement visés et sont montés au créneau.
Si la commission présidée par Mme Kriegel ne s’est pas prononcée pour une interdiction de la pornographie, elle a en revanche mis en exergue le « laxisme » de la commission française de classification des films qui accorde plus facilement les visas " tous publics " que les instances équivalentes des pays voisins européens.
Mme Kriegel souhaite que la France se dote, à son tour, d’une autorité unique capable de créer un système cohérent de classification des images, quels que soient les supports de diffusion (télévision, Internet, salles de cinéma, DVD).

« Je suis fou furieux », s’est exclamé Hervé Bérard, membre de la SRF et de la Commission de classification des films du CNC, cité par le quotidien Libération du vendredi 15 novembre.
« Blandine Kriegel a été mandatée pour un rapport sur la violence à la télévision et elle s’en prend au cinéma en sortant une réforme de la censure, tous azimuts, au détriment des créateurs et des spectateurs. »
Il conteste les comparaisons faites entre la France et la Grande-Bretagne sur le pourcentage de films qui font l’objet de restriction de classification, en précisant que les Britanniques « veulent justement alléger leur censure ».
Même son de cloche du côté de l’ARP. Pascal Rogard, délégué général, déclarant : « Des atteintes pareilles à la liberté de création, on ne va pas les laisser passer en quelques phrases. Cela mérite qu’on prenne le temps d’une analyse et d’une réplique concertée. »

A contrario, Hubert Brin, président de l’Union nationale des associations familiales (UNAF) a, le même jour, apporté son soutien aux travaux de la commission.
« Je partage la proposition de réorganisation de la commission de classification des films... Il ne s’agit pas d’un retour à l’ordre moral, mais de la nécessaire protection de l’enfance », dit-t-il.
Une position partagée par Christian Jacob, le ministre délégué à la famille, pour qui le rapport Kriegel « va incontestablement dans le bon sens et vise à une meilleure protection de l’enfance ».
De son côté, Dominique Baudis, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, n’a pas encore souhaité réagir aux propositions de Mme Kriegel.
(Laurence Girard, Le Monde, 15 novembre 2002)