Les Gardiennes

La mise en image des Gardiennes, tourné entre juillet et décembre 2016, dans le Limousin, m’a permis de me poser beaucoup des questions qui nous agitent en ce moment.
La taille d’un capteur par rapport aux optiques, le pouvoir séparateur de la cible en couleur et définition, la qualité du RAW en sortie de capteur, enfin les choix et calcul des courbes à appliquer à ce RAW.

Les Gardiennes, c’est d’abord un livre (1924) d’Ernest Pérochon, écrivain paysan aimé de Maurice Pialat, qui relate la vie d’une ferme, Le Paridier, pendant la guerre de 14-18, alors que les hommes sont partis et que les femmes y assument toutes les tâches. Sylvie Pialat propose le sujet à Xavier Beauvois, avec Frédérique Moreau ils écrivent un scénario qui sera notre partition.
Epoque, nature, animaux, femmes à la tâche, le motif était enthousiasmant mais ne manquait pas de pièges. Le premier était l’époque, je me suis jetée sur les livres de photos ayant trait à la guerre de 14 et sur les milliers de documents concernant la paysannerie, ils nous ont nourris, Yann Mégard, le décorateur, Anaïs Romand, la costumière, et moi.

La tentation de l’autochrome est apparue. Dans les photos couleur de l’époque, ce qui reste de bleu et de rouge dans des images douces (où beaucoup de choses sont retenues dans un arrière plan chromatique) fait rêver et j’ai eu peur de quelque chose d’artificiel et de fabriqué. D’autre part, quid des peaux, je suis certaine que la qualité de restitution de la carnation est un des facteurs d’adhésion aux personnages.
Notre film de référence, L’Arbre aux sabots, d’Ermanno Olmi, était exemplaire à beaucoup de titres mais pas forcément pour la photographie qui me paraissait terreuse, ce qui, en le disant, peut être mis au crédit du directeur de la photo.

Les Gardiennes et le jeune Van Gogh
Pendant cette errance agréable qui précède le choix de l’image qui s’installera derrière nos têtes, Xavier Beauvois, m’a envoyé un texto : « Regarde du côté du jeune Van Gogh ».
J’y suis donc allée. La découverte frappante a été les essais de copies par Van Gogh des tableaux de Millet, peintre de la paysannerie, des interprétations assez exactes en thèmes, formes et personnages mais où la couleur puissante, insolente même, renouvelle absolument la proposition du vieux peintre et le passé devient le présent. C’est cela que nous apporterait la couleur, le présent des saisons, des travaux et des personnages.

La couleur est devenu l’axe de tous les tests, choix, décisions qui allaient constituer l’image des Gardiennes.
Après le tournage des Innocentes, d’Anne Fontaine, la Sony F65 nous apparaissait offrir le meilleur capteur pour restituer l’échantillonnage, les nuances des peaux ayant été mon principal terrain chromatique sur ce film.
Très vite, le format large s’est imposé, tant le Western était en sous-texte du scénario pour Xavier et moi. Avec le 2,35:1, l’anamorphique que nous avions écarté sur les Innocentes nous a paru évident. A partir de là, les essais pouvaient commencer.

Sachant que notre période de tournage irait de juillet à décembre, la seule saison qui nous ferait défaut serait le printemps. Dès avril, nous nous sommes mis en chasse de plans que nous appelions "plans printemps".
Nous sommes allés sur notre décor, la ferme louée pour un an, Martin Roux, premier assistant très impliqué dans la préparation, Xavier Beauvois, son assistant, un régisseur et moi. Ces plans étaient des approches stylistiques pour Xavier, ils sont longtemps restés dans le montage accompagnés de lettres de soldat (nos personnages), certains viennent encore en tête de chapitre dans le film aujourd’hui.

C’était des plans de bourgeons, d’herbes nouvelles, de ruisseau, d’arbres en fleurs, de glycine, fixes ou petits panoramiques ; nous revenions à Paris comme après une cueillette et apportions ces images à deux laboratoires. L’imprégnation de ces journées au grand air était si forte que nous étions très exigeants sur la texture et le rendu de couleur quand nous visionnions les images.
Pour ces essais, nous n’avions pas accès aux nouvelles séries Primo anamorphiques mais à des optiques vintages non dénuées de charme, trop lourdes à mon goût. Par la suite, nous avons comparé les séries G et C sur le visage de ma fille Alice et nous sommes décidés pour les G, légèrement plus "rondes".

Le dispositif commençait à prendre forme, à chaque livraison d’images, Fred Savoir travaillait ses courbes. La glycine, la peau d’Alice… Nous y sommes revenus souvent. Difficile de nous rappeler tout ce que nous nous disions mais nous avons beaucoup discuté de nos impressions, de nos sensations. Fred dit aujourd’hui que ce qui le conduisait était ce sentiment de justesse auquel je revenais sans cesse. Martin parlait texture. Un jour Patrick Leplat est venu regarder nos images, il a lâché : « J’ai l’impression d’être au bord de la mer »… Evidemment il n’y a pas de mer dans le Limousin mais Patrick formulait quelque chose que nous ne voyions pas de ce que nous cherchions, l’air dans la couleur, l’air dans les images, nous y étions.

Parallèlement, le chantier de reconstruction de la ferme commençait et la fabrication des costumes aussi. En général, devant des choix de teintes, que ce soit pour des volets ou pour une robe, ma réaction est plutôt d’éteindre, de fondre la couleur dans le motif. Par je ne sais quel mécanisme de confiance, j’allais toujours au ton plus fort.

Les volets du Paridier, par exemple, Xavier aurait eu envie de les redescendre en teinte, je tenais bon, Yann aussi, le jeune Van Gogh nous protégeait, il fallait réveiller cette énorme bâtisse.
Les premiers essais avec Francine (Iris Bry) que nous avons souhaité faire dans le parc des Lilas sont venus confirmer nos choix, le roux de ses cheveux, le bleu Chambray du costume, les verts des arbres du parc, tout était en place, exactement.

Si je parle autant du processus d’approche qui nous a fait construire cette image, c’est qu’il est la clé de tout, nous n’avions plus peur de rien ni du grand soleil ni du contraste ni des étendues de blé ni des visages burinés, nous n’avions plus qu’à poser juste, grâce au photomètre Pentax et faire avec des lilis en fin de plan.
A la lecture d’un scénario comme celui des Gardiennes, on se dit que c’est un film de machinerie, certes, de très nombreux travelling, subtilement orchestrés par Bibir et son équipe, de nombreux sas pour les nuits, des grues pour les aubes, etc. Mais ce dont on prend conscience quand on revient d’une aube, c’est que les intérieurs ne peuvent pas décevoir, tout participe du même motif, d’où un travail exemplaire de Stéphane Bourgoin et Thibault de Saint André.

C’était important pour nous que les soirées d’été où le ciel marque encore soient exactes, que le bleu se mélange aux lampes à pétrole et à huile dans la cuisine du Paridier.
Finalement, cette attention à la lumière et à la couleur, qui en est son expression visible, que nous avions développée en préparation, était devenue notre geste, instant par instant, plan à plan.

Dans le portfolio ci-dessous, quelques photogrammes issus des Gardiennes.

Technique

- Laboratoire : Amazing Digital Studio
- Matériel caméra : Panavision Alga (Sony F65, optiques Panavision série G Primo)
- Matériel électricique : Panalux
- Matériel machinerie : Panagrip
- Rails : Cinesyl
- Attelages : Ecuries Hardy