Les Rencontres de la CST : une affaire à suivre

par Philippe Ros, membre du CA de la CST, représentant du département Image

par La CST La Lettre AFC n°133

Nous avons prévu que cette session soit organisée autour du film Deux frères de Jean-Jacques Annaud. Suite à la projection de la soirée AFC du lundi 5 avril, quelques directeurs photo ont fait des remarques sur la qualité de ce film tourné à 85 % en HD Sony CineAlta " Panavisé " et à 15 % en 35 mm. Il me semble utile de justifier notre choix.

M’étant intéressé assez tôt au support HD, je me permets de penser que le travail effectué par Jean-Marie Dreujou avec l’aide de son opérateur vision (ou technicien de l’image numérique) Olivier Garcia, est plutôt très réussi, compte tenu des contraintes rencontrées dans ce type d’environnement et dans ce type de tournage.

Tout dépend de ce que l’on attend de la HD. C’est sûr, cela n’a pas la qualité du 35 mm, mais qui peut penser cela dans l’état actuel des caractéristiques de cette caméra HD ? Peut-être faudrait-il placer le débat non pas sur la qualité intrinsèque du film lui-même mais sur les choix de réalisation et de production. La raison essentielle du choix du support HD était la durée des cassettes HD. D’après Jean-Marie Dreujou : « On y serait encore si on avait tout tourné en film ».
Les écarts de diaphragme dans la jungle sont très importants et marquent les limites de ce type de caméra HD, mais le film existe, ce qui est, en définitive, le plus important. Peut-être aurait-on pu souhaiter plus de plans tournés en 35 mm (plans larges, plans de comédie avec les humains), mais l’essentiel du film, c’est-à-dire les plans sur les animaux auraient difficilement pu être tournés autrement qu’en HD.

Je pense que le vrai débat se situe entre faire des films ou pas. Je ne pense pas que la DV ou la HD soient forcément l’avenir de la prise de vues cinéma, ce sont simplement des instruments qui viennent s’ajouter dans la palette. Je considère qu’il faut faire des films avec les outils dont on dispose, en respectant des choix esthétiques et des cadres économiques. Mais reconnaissons que ce n’est pas simple.

Concernant les premiers essais effectués au Puy-du-Fou, Jean-Jacques Annaud dit « ne pas avoir vu la différence entre le 35 mm et la HD ». Il faut replacer cette phrase dans son contexte : pour ce style de film, pour le public visé, pour ce type de tournage, cet outil était satisfaisant. Il ne faut pas y voir de mépris mais un calcul très simple : comment faire en 2003 un film de fiction avec des animaux sans perdre la raison ? Jean-Jacques Annaud est un technicien qui tente des expériences, c’est le moins que l’on puisse dire, mais c’est aussi un fin stratège. Et dans sa stratégie, il y a quelque chose dont je me sens proche : c’est que la technique a toujours été chez lui au service d’un désir, d’un but, même si cela implique des renoncements, des adaptations et des compromis.

Pour la petite histoire, lors des essais, Jean-Marie Dreujou et Olivier Garcia ont choisi un ancien soft de la caméra CineAlta qui favorisait les basses lumières. Un autre soft donnait un diaphragme de plus dans les hautes lumières mais créait du bruit dans le pied de courbe.

C’était un choix et je pense que c’était le bon.

Personnellement, lorsque je tourne en HD ou en Super 16, je me dis que ce n’est pas du tout du 35 mm, mais que si ces supports permettent de faire des films, c’est formidable. Je ne crois pas que la HD va remplacer le support film, loin de là, mais que de nombreux films utiliseront des techniques hybrides (film / numérique) avec des pourcentages à définir.

Si l’on accepte de bien vouloir placer le débat sur un plan général et pas seulement technique, on se rendra compte que Deux frères ouvre peut-être la voie à d’autres possibilités de tournage.

La première réunion que le groupe de travail a tenue avec Xavier Castano, producteur exécutif et réalisateur de seconde équipe des Deux frères nous a permis de saisir toute la cohérence du projet d’un point de vue de la production. Dès la préparation, rien n’a été laissé au hasard, Xavier a tente d’anticiper chaque problème. Les choix, la réflexion, les essais autour de ce cinéma hybride ont tous été orientés vers un seul but : répondre à la volonté d’un réalisateur dans un cadre économique et technique crédible.

Lors de la prochaine session des Rencontres, les interventions de Xavier Castano, Jean-Jacques Annaud, Jean-Marie Dreujou et d’autres membres de l’équipe promettent d’être passionnantes. Cette session laissera la parole à une équipe dont les choix sont clairement revendiqués, notamment le pourcentage d’hybridité. Elle montrera aussi l’environnement de ce tournage.
Dans cette perspective, on devrait pouvoir montrer quelques images du making of. En plus des tableaux synoptiques de chaîne numérique, des schémas d’implantation des caméras seront créés avec Olivier Garcia pour bien faire comprendre la réalité du tournage. On aura aussi un aperçu du laboratoire mobile embarqué lors du tournage qui a permis de pré-monter et de visualiser les effets spéciaux.

De manière générale, lors de cette deuxième session, quelques petites règles techniques sur la HD pourraient y être énoncées.
- Il y a différents types de caméra HD et elles sont en évolution permanente.
- Si l’on veut obtenir une bonne image, la HD implique pour l’instant des contraintes.
- La présence d’un opérateur de la vision est plus que souhaitable dans la plupart des cas.
- La préparation électronique de la caméra en relation avec le laboratoire est indispensable.
- Les options techniques de la chaîne numérique qui suit le tournage en HD sont aussi importantes que le choix de la caméra.
- On ne peut pas pour l’instant tout demander à la HD.

(Article paru dans La Lettre de la CST de mai 2004, reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur)