Les film " AFC " vus par leurs directeurs de la photographie

" Flandres " de Bruno Dumont, photographié par Yves Cape

L’histoire, racontée par Yves Cape
Demester est le voisin de Barde. Elle habite la ferme d’en face. Ils se connaissent depuis longtemps et ont leurs habitudes : promenades dans les champs, bars et parfois elle s’offre à lui. Barde est libre et s’offre à ceux qui lui plaisent. Demester n’a pas le choix et n’est pas jaloux. Il est envoyé à la guerre avec quelques gars du coin. Ils vont se retrouver là-bas loin de chez eux dans cette guerre dans le désert et vont disparaître l’un après l’autre, même Blondel qui a mis Barde enceinte. Barde écrit des lettres et devient folle en les attendant. Au retour Demester, seul survivant, doit raconter l’horreur, mais les mots ne lui viennent pas, a-t-il, tout fait pour les sauver ?

Après L’Humanité, c’est ta deuxième collaboration avec Bruno Dumont.
Oui. Bruno ne m’avait pas contacté pour faire 29 Palms. Il avait dit dans plusieurs interviews qu’il aimait changer, à chaque film, de collaborateurs artistiques, que ça l’aidait à se renouveler et à avoir d’autres échos à son travail. Je pensais donc ne plus avoir la chance de travailler avec lui. Et puis j’ai fait un film, Le Gardien de buffles, avec 3B production qui a produit Flandres (Jean Bréhat, Muriel Merlin et Rachid Bouchareb), au Vietnam dans des conditions très difficiles. Le film fini, Jean Bréhat, m’a appelé pour me dire combien il avait apprécié mon travail. Quelques jours plus tard, huit mois avant le tournage, Bruno m’a contacté pour me demander de lire le scénario de Flandres et me dire qu’il serait ravi de refaire un film avec moi. Le scénario m’a complètement bouleversé par sa poésie mystique et par l’horreur de l’histoire. J’ai oublié de l’appeler (tellement ça me semblait évident) pour lui dire que je serais ravi moi aussi de faire le film et c’est lui qui, quelque peu inquiet, m’a rappelé en me demandant des nouvelles !

Recherche de décor sur le toi d’une maison Tunisie Avril 2005


Ce film a-t-il, comme L’Humanité, un univers très particulier ?
Pour ce film, Bruno voulait des changements par rapport à L’Humanité qui finalement est très classique : des mouvements caméra à hauteur d’homme, peu visibles et sans effet, et une lumière réaliste. Pour Flandres, nous avons essayé certaines choses : de la caméra épaule, des mouvements caméra en hauteur, des effets de flare, le mélange de textures pellicule 16-35 mm. Bruno voulait aussi plus de liberté avec la caméra, pouvoir plus décider sur le moment avec les comédiens. Souvent Bruno me disait que je faisais plus du " Bruno Dumont " que lui ne voulait en faire !

Comment as-tu alors appréhendé ces changements avec le réalisateur ?
Flandres se compose de quatre parties distinctes : l’hiver, le printemps, l’été et la guerre. On a tourné pendant ces trois saisons à Bailleul, dans le nord de la France, et, entre ces trois saisons, la guerre en Tunisie. Quarante-cinq jours de tournage étalés sur une période de sept mois. Le film souffrant d’un gros problème de financement, après de longues hésitations et avec beaucoup de regret, on a dû choisir de tourner la partie tunisienne en 16 mm et les Flandres en 35 mm. Avant chaque tournage des trois saisons, j’ai fait des essais avec différentes pellicules. Finalement, on a décidé de garder la même pellicule et de laisser les saisons œuvrer sur elle. Bruno aime les images neutres, légèrement froides avec des peaux blanches limite magenta, la 250 Daylight de Kodak (avec laquelle on avait fait L’Humanité) est parfaite pour ce genre de choses et offrait la possibilité de tourner dans toutes nos situations : intérieur jour, extérieur jour et fin de jour.

Travelling de 60 mètres sous la neige. On profite d’une météo magique. Février 2005, Bailleul.

Pour la guerre, on a fait un gros travail de recherche documentaire sur les guerres contemporaines dans des lieux arides (Afghanistan et Iraq). Après discussion avec Excalibur et GTC numérique, on a déterminé un type d’image qui nous plaisait au niveau de la matière (poussière et grain) et de la couleur. Je suis parti avec une A-Minima faire des essais filmés avec plusieurs pellicules. On a choisi la 100 ISO tungstène pour des raisons de granulation et de couleur qui matchait bien avec nos décors ocres de désert.

Repérage d’un plan dans un canyon avec Bruno, l’ingénieur du son Philippe Lecoeur et l’assistant réalisateur Tunisien Mounir Baaziz. Tunisie Avril 2005

Pour toute la période en France j’ai beaucoup travaillé avec KLMS (le logiciel de prévisualisation de Kodak) pour communiquer avec le laboratoire. Je l’ai également utilisé en préparation pour créer des styles d’image différents et orienter mes essais filmés. Pour ce qui est de la préparation avec Bruno sur le découpage et l’organisation du tournage, cela s’est passé en quatre temps. On a, pour chaque période, reconduit ce rituel très agréable :

Dans le Canyon. De dos Réginald Dessy chef Machiniste en Tunisie. Avril 2005

- Bruno m’a présenté les décors et expliqué les différentes scènes qui allaient s’y passer. Flandres se passe entre deux fermes. Tout à été tourné dans la chronologie dans un périmètre de 2 000 m2.
- J’ai reçu le découpage, avec des dessins de chaque plan faits par Bruno.
- Nous avons parlé du découpage autour d’une table et l’on a vérifié si tout était réalisable techniquement et dans le temps qui nous était imparti.
- Nous sommes retournés sur les décors et, avec le viseur, chaque plan a été répété avec des doublures. Ensuite, je suis retourné sur les décors en repérage technique et le plan de travail a été adapté aux différentes contraintes de soleil et de temps de préparation (beaucoup de travelling de 40 mètres dans des champs en pente).

Et ensuite, au tournage ?
Une fois cette préparation faite (à peu prés autant de temps de préparation que de temps de tournage en ce qui me concerne) le tournage s’est fait avec beaucoup d’anticipation par l’équipe sur les plans à venir et une sorte d’autogestion du plan de travail. Tous les plans prévus ont été tournés, quoi qu’il arrive, alors autant ne pas traîner en chemin ! Avec Bruno, c’était le moment d’ajuster le découpage aux comédiens : un peu plus haut, un peu plus vite, un peu à gauche. Rarement plus de 10 % de différence avec ce qui était prévu en préparation ! Pour l’équipe et pour moi, c’était la découverte des comédiens et de leurs particularités : pas précis, à l’écoute, souples, instinctifs, bref de petites choses qui allaient fortement influencer notre travail respectif.
J’ajouterai qu’en accord avec la production et Bruno et pour des raisons économiques, nous avons travaillé en équipe assez légère : un chef machiniste et son assistant, un chef électricien. Ce dernier aidait bien souvent les machinistes car nous avons utilisé chaque jour plus de 100 mètres de rails sur des terrains difficiles, des champs en pente ou des montagnes rocailleuses en Tunisie. J’ai utilisé peu de projecteurs : un 6 kW, un 1 200 Cinépar avec Chimera, des réflecteurs 4 par 4, 4 Joker 400 W et 4 Kino Flo 4 tubes pour les intérieurs.

Tu avais dit, en parlant de L’Humanité dans un texte pour l’AFC : « Je me suis vraiment rendu compte qu’il est primordial de ne pas chercher à faire ce que l’on sait faire (et aussi ce que les autres pensent que l’on sait faire) mais au contraire tenter de faire ce que l’on croit ne pas savoir faire et donc ce que l’on croit ne pas aimer, pour se protéger ! Ne pas toujours faire la même chose avec les mêmes trucs ». As-tu le même sentiment aujourd’hui ?
Mon sentiment n’a pas changé. Avec la production et tous les techniciens, nous avons réussi à faire exister cette 3e partie de ce que l’on pourrait appeler la trilogie de Bailleul. Si je fais du cinéma, c’est, entre autres, pour vivre ce genre d’expérience qui est autant une expérience humaine que cinématographique. Notre conscience humaine à été mis a rude épreuve, mais si nous avons participé jusqu’au bout à cette aventure, c’est pour faire vivre ces 90 minutes de poésie et de rêve brutal.

Commentaires d’Yves Cape sur les images traités avec le KLMS


A propos du KLMS
A propos du KLMS

J’essaye de me rapprocher le plus possible des couleurs d’origine : ici le papier peint me sert de calibrage (j’en ai un petit bout dans la poche !). Je refroidis et garde les peaux légèrement magenta tout en densifiant. Je ne touche pas trop au noir bien que cela soit tentant mais ma post prod classique ne me le permettra pas alors autant ne pas rêver ! L’extérieur devrais être moins sur ex sur positif (Copie vue c’est en effet moins sur ex pour l’extérieur). J’ai vu les copies il y a quelques jours et ces images sont très proches des copies avant inter.

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Ici j’essaye de garder un petit coté fin de jour soleil couchant tout en pouvant raccorder avec les plans avant et après. Je devrais sans doute être moins chaud mais on verra aux copies. En attendant ça nous plaît comme ça à Bruno et moi. Ce que je constate : j’aurais pu prendre plus de risque et fermer un peu le diaph, la fenêtre sera sur ex et on aurait pu être plus pénombre. Avec Bruno, on est toujours sur le fil puisque il ne veut pas d’effet de lumière superflu : dans le scénario ils font bien l’amour dans la grange mais en pleine lumière pas dans la pénombre !

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Barbe dans l’hôpital psychiatrique. Toujours cette tendance froide magenta que l’on recherche pour être au plus juste sur les peaux tout en laissant filer le décor. Barbe est magnifique, elle est interprétée avec justesse et émotion par Adélaïde Leroux. C’est sa 1re expérience au cinéma comme tout les autres interprète du film.