"Les lumières de Lhomme" à paraître bientôt

Par Luc Béraud

AFC newsletter n°300

« Je ne suis pas entré dans le cinéma par amour de l’image, j’ai fait de l’image par amour du cinéma. » Pierre Lhomme
La première fois que je vois Pierre Lhomme, c’est à l’été 1970 sur le Pont-Neuf. Il tourne avec Robert Bresson Quatre nuits d’un rêveur. C’est en août mais les soirées sont glaciales et toute l’équipe est couverte de vêtements chauds. Elle est peu nombreuse et travaille en silence. Et curieusement, malgré la nuit, avec peu de matériel d’éclairage.

Je sais que Pierre Lhomme est un directeur de la photographie important. Il a cosigné Le Joli mai avec Chris Marker, il a cadré Le Signe du lion pour Éric Rohmer, fait la photo de La Vie de château, de Jean-Paul Rappeneau, et des films d’Alain Cavalier et celle, impressionnante, de L’Armée des ombres, de Jean-Pierre Melville.
Je le retrouve deux ans plus tard sur le plateau de La Maman et la putain dont je suis le premier assistant. Jean Eustache est un être complexe, ce qui rend le tournage plein de surprises. L’équipe est consciente de la gravité de ce texte fleuve principalement composé de monologues à la fois déchirants et provocants qui décrivent trois personnages doués d’un réel sens du tragique. Pierre est le plus expérimenté d’entre nous, il a la confiance d’Eustache et c’est sur lui que se repose l’ensemble des techniciens (onze personnes, on ne peut pas parler de délégué syndical !). Le tournage difficile mais exceptionnellement stimulant a rapproché ceux qui y ont participé. Pierre est devenu un ami. C’est moi qui l’ai présenté à Claude Miller pour son deuxième film, Dites-lui que je l’aime (Bruno Nuytten qui avait fait le premier n’étant pas libre), et nous avons par la suite fait des pubs ensemble.

Souvent interviewé au cours de sa carrière, Pierre n’a pas écrit de mémoires ni publié de livre d’entretiens. Imaginant avec lui que retracer son parcours sous le regard et les commentaires d’un réalisateur pourrait apporter un éclairage particulier sur un métier technique mais aussi très créatif et au demeurant assez mystérieux, nous avons décidé d’entreprendre un livre. Des conversations particulières, des témoignages, des publications (dont La Lettre de l’AFC), des consultations à la bibliothèque de la Cinémathèque française ainsi que les archives personnelles que Pierre m’a ouvertes m’ont aidé à documenter ce travail.
La plupart des propos de l’ouvrage sont les siens. J’y ai ajouté quelques notations ou anecdotes personnelles ou des citations glanées dans mes lectures. Ce livre voudrait être une balade dans la filmographie d’un grand chef opérateur – qui a veillé à alterner les gros films et ceux à petit budget, la fiction et le cinéma direct, les réalisateurs célèbres et les premiers films – parsemée de digressions, d’apartés ou de commentaires qui aspirent à cerner le travail du responsable de l’image sur le tournage des films.

Au cours de près de deux ans, Pierre a lu les étapes successives de mon écriture. Il m’a fait à chaque fois des remarques, demandé des coupes ou des corrections dont j’ai tenu compte. Lors de ce qui a été notre ultime rencontre, je lui ai remis l’avant-dernière version du livre. Nous avions programmé un voyage à Fontvieille fin juin pour qu’il me fasse ses dernières observations. Renée, sa femme, m’a appelé une semaine avant pour me dire que Pierre n’allait pas bien et qu’il était prudent de repousser ma visite. Quelques jours après, elle m’a dit qu’il était entré au service de réanimation de l’hôpital d’Arles. Il s’est éteint onze jours plus tard.
Mon livre s’intitule Les lumières de Lhomme, il va être publié chez Institut Lumière/Actes Sud. J’espère qu’il permettra à un public d’amateurs de cinéma d’appréhender le métier de Chef Opérateur et qu’il ne fera pas sourire les membres de l’AFC. Mon souhait le plus vif est, bien sûr, qu’à aucun moment ce document trahisse ou déforme les idées et la pensée de mon ami.

En vignette de cet article, Jean Eustache et Pierre Lhomme sur le tournage de La Maman et la putain, en 1972.