Les mots justes de Matthieu

Par Agathe Salha

La Lettre AFC n°282

Lors des obsèques de Matthieu Poirot-Delpech, samedi 2 décembre 2017, Agathe Salha, une de ses connaissances de longue date, a pris la parole et lu le texte suivant.

Vieille amie de Julie, je connaissais de longue date Matthieu, ce grand frère admiré, mystérieux et un peu intimidant à mes yeux. Je l’ai rencontré à de nombreuses reprises à Saint-Pair, avant d’y faire ta connaissance, Sarah, et celle de Madeleine et Clémentine, dans cette grande maison au bord de l’eau, si généreusement ouverte aux amis.
Matthieu avait une forme de réserve, il préférait se laisser découvrir, sans jamais chercher à en imposer. Il était pourtant extraordinairement doué, actif, engagé. Non seulement derrière une caméra, comme vous le savez, mais aussi par l’écriture.

Je voudrais vous lire un court texte qu’il a publié dans la Lettre de l’Association française des directeurs de la photographie cinématographique dont il était le président. Il s’agit d’un éditorial à propos de la disparition d’un laboratoire de développement et de postproduction, nommé Arane Gulliver. Il serait difficile de trouver des mots plus justes :
« Il en va des outils comme des hommes qui les manipulent, ils meurent. Il est des disparus dont on pense qu’"ils ont fait leur temps" et que "c’était peut-être mieux comme ça". On pense que leur disparition valait mieux qu’une lente agonie, qu’un pénible chapelet de souffrances. On est triste, c’est tout.
Il en est d’autres où la tristesse se mêle de révolte et de colère. Parce qu’ils étaient si jeunes, si actifs, qu’ils avaient encore tant de choses à nous montrer, à nous apprendre… On regrette alors de ne pas avoir su le mal dont ils souffraient, de ne pas avoir su que c’était si grave, de ne pas pouvoir reprendre la conversation entamée la veille.
Le Laboratoire Arane a disparu. Sa disparition est le fait d’une logique économique qui fait bien peu de cas de l’amour du travail bien fait, du "cousu main" et de l’excellence.
Nous sommes tristes et révoltés. Déjà, Arane nous manque. »