Lettre ouverte à M. Georges Mothron, maire d’Argenteuil

par Gilles Porte La Lettre AFC n°264

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Cher monsieur,
Vous habitez Argenteuil… J’habite à Paris, dans le 18e arrondissement…
Nous sommes donc voisins et le fait d’avoir grandi ensemble dans un hexagone ne nous a t-il pas enseigné à tous les deux "le droit à la liberté d’expression" et "le droit à la création" ?

Le 7 janvier 2015, un journal a payé très cher cette idée mais plutôt que d’accepter ce qui était imposé par des balles, une France s’est retrouvée dans la rue… Un certain nombre d’hommes et de femmes avec des écharpes tricolores étaient même parmi la foule… Non pas devant, mais "ensemble"… Pas de politique partisane ce jour-là, Monsieur le maire, juste une envie de gueuler au monde entier qu’en France il est encore autorisé de dessiner, d’écrire, de faire de la musique, de danser et de filmer sans forcément être dans le sens d’un courant…

Aujourd’hui, jeudi 28 avril, deux nouvelles me parviennent en même temps !…
La première, de l’autre côté de l’Atlantique, et la deuxième, de l’autre côté du périphérique… Deux nouvelles qui concernent un même sujet mais qui semblent pourtant aux antipodes l’une de l’autre…
La première, me vient de Washington, et plutôt que de vous l’interpréter, je vous la livre telle quelle :
« Dear all… 3000 Nights just won the Circle Special Jury Award at the Washington DC International Film Festival, USA ! Congratulations to you all, this is the 5th international award so far ! Check out the details and photos on facebook link. […] Wonderful statement by the jury of the festival : “An accomplished documentarian, 3000 Nights is the first feature from director Mai Masri, who constructs fiction rooted in reality. Filmed entirely on location in an actual prison, the story is depicted with sensitivity, subtlety and conviction. A compelling mother’s love is matched with integrity and resilience. The power of the characters, the touching dialogue, the cinematically poetic frames touch on the larger universal humanity. Raw emotions are mixed with deeply moving interactions between mother and son. Despite the storyline this is not a dark film. The final feeling is one of female strength and power.” (Mai Masri)

Mai Masri, c’est la réalisatrice du film 3000 Nights qui sortira officiellement en France au mois de septembre. Elle s’adresse, par son e-mail, aux membres de l’équipe de son film, éparpillés aux quatre coins de la planète… La sortie de 3000 Nights sera forcément fragile en France quand on connaît un peu les lois du marché… Et sans doute est-ce une des raisons qui a poussé Mai à entamer avant un petit tour du monde des festivals puisque 3000 Nights est passé par Toronto (Canada), Busan (Corée du Sud), Londres (Grande Bretagne), Palm Springs (Etats-Unis), Dubai (Arabie Saoudite), Stockolm (Suède) et a reçu parfois quelques distinctions (Circle Special Jury Award, Washington DC International Film Festival, USA, 2016 - Jury Award at theWIFTS (Women ’s International Film & Television Showcase) in Los Angeles, USA , 2015 - Audience Award at Valladolid International Film Festival, Spain – 2015 - Audience Award at Annonay International Film Festival, France – 2016 - Young Jury Award at the International Film Festival and Forum on Human Rights in Geneva, Switzerland – 2016)

La deuxième nouvelle, me vient de "chez vous"… Un courrier (cf document ci-joint) de l’observatoire de la liberté de création m’informe que votre cabinet vient d’ordonner à l’équipe de cinéma d’Argenteuil de retirer 3000 Nights de la programmation…
Cette déprogrammation n’est-elle pas un abus de pouvoir Monsieur le maire ? Celle-ci ne relève-t-elle pas d’un simple acte de censure et d’une "violation caractérisée de la liberté de création et de diffusion des œuvres" ? Ne devriez-vous pas, au contraire, mettre en place les conditions d’un débat autour de cette œuvre afin de faire coexister des points de vue ?
Je vous propose d’ailleurs, Monsieur le maire, de participer bénévolement à ce débat… Je serai ravi de débattre avec vous, votre cabinet et vos concitoyens en respectant comme jamais des mots qui m’ont éduqué et qui me guident encore aujourd’hui… Des mots attribués à Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire… »
Des mots qui m’ont donné un jour l’envie de mettre une caméra sur l’épaule puisque je suis cinéaste M. le Maire. Je faisais même partie des très rares Français engagés sur 3000 Nights (coproduction française) puisque j’en étais le directeur de la photographie… J’y avais même tenu un blog : Two Pictures a Day in Amman.

En plus d’être investi auprès de celles et ceux qui font des films, je le suis également auprès de celles et ceux qui les diffusent, aussi je vous prie de croire que l’ingérence de votre cabinet dans la programmation de votre cinéma me laisse perplexe ! N’avez vous pas à ce point confiance aux professionnels qui travaillent pour le bien public ? N’accordez vous aucune importance à notre ministère de la Culture dont un des devoirs est d’autoriser ou pas la diffusion d’images et de sons ?
Je vous prie d’agréer, Monsieur le maire, l’expression de mes sentiments distingués…
Gilles Porte (directeur de la photographie, AFC)

NB : Par ailleurs, j’apprends que votre cabinet n’autorise pas la diffusion du documentaire La Sociologue et l’ourson, d’Etienne Chaillou et Mathias Théry, qui propose "une réflexion sur le mariage pour tous"…

Ne pourriez-vous pas plutôt imaginer que ce qui parfois différencie vos concitoyens les intéresse plutôt que ne les éloigne ?