Loulou Pastier

par Philippe Houdart, AFCF

La Lettre AFC n°152

Loulou Pastier
Loulou Pastier

Certains d’entre vous ont eu la chance, comme chef opérateur ou lorsqu’ils étaient assistants, de travailler aux côtés de Loulou. Il parlait toujours avec beaucoup de respect de ceux qui avaient collaboré avec lui au travail de l’image sur les films parce qu’il connaissait les difficultés de chaque poste et qu’il savait faire en sorte de participer à leur résolution. Pour ma part, j’ai rencontré Loulou alors que j’étais second assistant et cette rencontre a eu une grande importance dans ma vie.

Professionnellement, parce que c’est à ses côtés que j’ai découvert le travail de caméraman tel qu’il le pratiquait (concevait), c’est-à-dire comme un rouage essentiel entre les demandes des réalisateurs et la mise en œuvre de leur concrétisation dans le respect des contraintes tant techniques qu’artistiques que cela suppose. Participer aux mises en place de plans-séquences orchestrés par André Cayatte, au cours desquels de multiples zooms étaient intégrés aux mouvements et aux déplacements de caméra pour obtenir un plan d’une parfaite fluidité, était une vraie découverte à une époque où la " zoomite " sauvage était aussi répandue que la " steadicamite " actuelle. Cette participation du second assistant aux mouvements de leur conception à leur réalisation, outre qu’elle était la plus belle des façons d’apprendre à concevoir un plan, était révélatrice de l’état d’esprit de Loulou pour qui chaque technicien, chaque ouvrier, présent sur le plateau méritait non seulement que l’on respecte son travail mais aussi que l’on sache en tirer la substantifique moelle. C’était en outre un formidable " manipulateur de caméra " pour qui, aux manivelles, au manche ou en caméra portée, un plan n’était réussi que lorsqu’aux rushes on ne pouvait avoir conscience de sa difficulté. Il était aussi souple avec la caméra que rigoureux avec lui-même.

Loulou Pastier aux commandes d'un Mitchell BNC
Loulou Pastier aux commandes d’un Mitchell BNC


Humainement, car au-delà de l’admiration professionnelle que je lui portais, il est très vite devenu un ami indispensable comme seuls peuvent l’être ceux dont on sait l’absolue sincérité. J’imagine qu’il ne savait pas mentir, je n’arrive pas à l’imaginer mentant, et ses positions tranchées étaient assumées avec une rigueur morale qui pouvait déplaire mais dont il ne se départait pas. Ainsi refusait-il de participer à tout plan au cours duquel un animal risquait d’être maltraité. Ainsi accordait-il les compliments avec parcimonie, mais ceux qui avaient la chance de les recevoir en connaissaient la valeur. C’est sur sa recommandation, et à ses côtés, que j’ai fait mon premier film au point. Au moment de son départ à la retraite, comme un passage de relais, il m’a donné son viseur de champ (que je continue à utiliser aujourd’hui) et les manches articulés qu’il avait mis au point et fabriqués avec l’aide d’Albert Viguier. Vingt-cinq ans déjà qu’il avait décidé de poser les manivelles pour profiter, auprès de Paule son épouse, d’une heureuse retraite à Antibes où depuis lors nous nous voyions si souvent. Vingt-cinq ans et pourtant j’ai l’impression que notre complicité sur un plateau est encore toute proche.

En nous quittant fin janvier Loulou a mis fin au long plan-séquence d’amitié que nous répétions ensemble. Il a sans doute considéré qu’il ne ferait pas mieux et qu’était venu le moment de passer au plan suivant. Mais pour tous ceux qui, un jour, ont eu l’occasion de partager une séquence de sa vie, pour tous ceux qui, au hasard d’une projection, reverront son travail, Loulou Pastier restera à jamais présent.