Manoel de Oliveira au travail, un homme décidé et secret

Jean-Claude Biette, en proposant une définition du cinéaste comme « celui qui croit filmer quelque chose qu’il veut mais filme en réalité ce que personne ne lui a demandé, même pas lui et dont il ne sait même pas ce que c’est », a donné un portrait exact d’Oliveira. Travailler près de lui forçait à se rendre sensible aux messages inconscients que nous dictaient ses images. Ne pas chercher à tout comprendre, laisser venir. Il était lui-même un monstre d’intuition, en prise avec un monde intérieur peuplé et tourbillonnant. La diversité de ses films et l’originalité de ce qu’il y explore à chaque fois en témoignent.

Au travail, comme dans la vie je crois, Oliveira était un homme décidé et secret. Il avait du mal à partager ses pensées. Au montage, il fallait qu’il voit d’abord ce qu’il avait en tête pour ensuite tenter de creuser au-delà. Il fallait attendre, avancer à l’instinct comme lui-même le faisait souvent et le surprendre en proposant une coupe qui décalerait la vision. Pas besoin d’un grand saut, un petit pas de côté suffisait à le plonger dans une réflexion profonde. Puis il finissait par accepter, ou pas. Souvent il proposait quelque chose qui repoussait encore plus loin les choix. Il avait cette capacité à avancer sur un terrain obscur, incertain, à casser les limites pour voir ce qui changerait dans la perception.

Je pense à tous les chefs opérateurs avec qui il a noué des relations très fortes ces dernières années, Mário Barroso, Emmanuel Machuel, Sabine Lancelin et Renato Berta, tous compagnons de route très proches, indispensables car porteurs de la possibilité de traduire cette lumière intérieure qui l’animait, plus proche du volcan que de la flamme d’une bougie.