Merci Monsieur Suschitzky

Par Pierre-William Glenn, AFC
Lors de l’hommage rendu à Cannes par Thales Angénieux au directeur de la photographie Peter Suschitzky, ASC, en lui décernant le Prix Pierre Angénieux ExcelLens in Cinematography, Pierre-William Glenn, AFC, aux côtés d’autres personnalités du cinéma, a lu, en anglais, le texte suivant.

A l’occasion de la remise du Prix Pierre Angénieux ExcelLens in Cinematography, je suis fier et ému d’avoir l’honneur de représenter mes confrères de l’AFC et d’accueillir l’un des hommes les plus célèbres et doués de notre profession. Puisque la communauté des directeurs de la photographie est devenue internationale depuis de nombreuses années, je me permets – à l’occasion de cet hommage – de me faire le porte-parole de tous les membres de cette grande famille pour vous féliciter, Peter, pour ce Prix Pierre Angénieux prestigieux, le dernier d’une longue liste de prix et de nominations.

Peter Suschitzky, vous êtes un membre éminent de l’ASC, qui a compté tant de grands cinématographes dans ses rangs. La liste est trop longue pour les citer tous mais ils ont toujours été de grands amis pour nous – pour pas dire de proches parents.
Cependant, vous me pardonnerez de vous poser la question, « Pourquoi n’êtes-vous pas membre de la BSC, notre association sœur, alors que votre père, Wolfgang Suschitzky (qui fête ses 104 ans cette année) et votre fils Adam, sont membres de cette association prestigieuse ? C’est un mystère pour moi, tout comme votre lieu de naissance : selon Wikipedia vous êtes né à Londres et selon IMDb.com, vous êtes né dans le quartier de Maseweckie à Varsovie. En 1941, les deux villes étaient dangereuses… l’une plus que l’autre… Mais lorsque je me penche sur votre CV et je lis la Carte des étoiles, je suis convaincu que vous êtes né dans les profondeurs de la lumière, très loin dans l’Univers sur une Planète rougeMars attaque et L’Empire contre-attaque.

Anglais d’adoption, Peter est né à Varsovie sous la bonne étoile d’un père chef opérateur et photographe, 104 ans au compteur en 2016…
Les chiens ne font pas des chats et les chefs opérateurs anglais ont l’âme chevillée au corps. La BSC a compté un nombre impressionnant de gaillards avoisinant la centaine d’années, d’Oswald Morris à Douglas Slocombe (qui vient de mourir à 103 ans en passant par Jack Cardiff, Freddie Young ou Guy Green.
La trahison du film 35 mm a été remarquée sur le film Cosmopolis où son talent multiforme, à l’épreuve d’un tournage situé à l’intérieur d’une voiture pour 70 % de la durée du film, a – une fois de plus – prouvé que le sens de la lumière, du cadre, de la cinématographie, est indépendant du support.
La trahison (j’en ai parlé à László Nemes, qui défend mordicus – avec le résultat que l’on sait sur Le Fils de Saul – le tournage et la projection en 35 mm) est cependant relative. Peter continue de photographier en pellicule noir et blanc qu’il développe et tire lui-même… J’en ai fait part aussi à László Nemes, qui m’a dit qu’un homme qui photographie en négatif film N&B, développe et tire ne peut pas être entièrement mauvais.

Wolfgang, le père de Peter, fit les beaux jours de l’école documentaire anglaise des années 1930 à 40 après qu’il émigra en 1932. Bon sang ne saurait mentir. Peter fit son premier film documentaire à… 22 ans.

Son curriculum est intéressant par sa diversité. Passer de Peter Watkins (La BombePrivilègeLes Gladiateurs), John Boorman(Leo the Last), Jacques Demy (Le Joueur de flute), Ken Russel, cinématographier le mythique Rocky Horror Show à Star Wars pour arriver à une collaboration de dix films avec David Cronenberg en passant par Tim Burton et Night Shyamalan, Peter a collaboré avec des réalisateurs français (Valérie Stroh – Guillaume Nicloux), il parle parfaitement notre langue.

Peter est aussi rapide, instinctif et créatif que discret. Il est un élément essentiel de la longue et passionnante saga des hommes de l’ombre, sur lesquels il faut mettre de la lumière.
Le Prix Pierre Angénieux ExcelLens in Cinematography est la meilleure marque de reconnaissance de notre métier… Après Philippe Rousselot, Vilmos Zsigmond et Roger Deakins, Peter Suschitzky est le symbole parfait des collaborations de création dont on ne parle jamais assez à Cannes. La notion de style, de cinématographie, de "cinématographeur", échappe trop souvent à la critique.
Peter – qui ne veut pas avoir de style – en a un. Celui des maîtres de lumière, celui des créateurs aristocrates qui ont l’art de "disparaître" après avoir fait l’essentiel de cinéma : la magie de l’image des films qui nous ont marqués. Car il faut croire – comme le disait récemment Vittorio Storaro – aux affinités électives et à ce que votre regard nous a apporté.

Merci M. Suschitzky !