Micro Salon et BSC Expo 2017 : un état des lieux de l’éclairage surprenant

AFC newsletter n°274

Les salons comme le Micro Salon et le BSC Expo sont toujours des occasions, malheureusement trop rares, de pouvoir se nourrir des discussions intéressantes que nous avons avec les utilisateurs. Ces échanges permettent de voir les tendances et de récolter les observations qui nous permettent d’évoluer et, éventuellement, de corriger nos erreurs ou celles des fabricants de lampes, par exemple.

Après avoir discuté avec de nombreux chef opérateurs, chefs électros et loueurs, je reste sans voix (et presque sans voie) face à autant d’opinions différentes sur l’éclairage.

Les LEDs
Parmi les discussions que nous avons eues, le sujet le plus redondant fut sans aucun doute les LEDs. Et là, on entend (et on voit aussi) tout et n’importe quoi. Une grande confusion surtout dans l’esprit des utilisateurs comme des acheteurs. Alors, vous ne faites pas de LEDs ? Demain on fera tout avec des LEDs ? Les autres sources sont obsolètes ?

Effectivement les LEDs en elles-mêmes ont fait des progrès certains en termes de température couleur et d’IRC. Il y a encore des progrès à faire sur le spectre par rapport au tungstène et aux HMI mais on arrive à des choses bien plus correctes qu’avant. Toutes les sources (sérieuses) qui sont composées de petites LEDs reparties en une surface éclairante couverte d’une diffusion sont capables de délivrer une lumière très acceptable. C’est pour cette raison que nous avons lancé un nouveau département distribution, One Stop Supply, afin d’offrir une sélection de produits que nous avons choisis et testés. Je rappelle, à ceux qui me disent : « De toutes façons, tu n’aimes pas les LEDs ! », que K5600 a été le premier importateur exclusif de Litepanels en France, il y a 10 ans. A l’époque, l’IRC laissait à désirer mais c’était novateur et cela réglait des problèmes de tournage.

Dès que l’on essaye de reproduire une ombre nette et unique ainsi qu’une plage propre qui se contrôle bien avec les volets, les COBs (Chip On Board) présentent deux problèmes majeurs : la taille de la source et la chaleur dégagée.

Commençons par cette dernière. Contrairement aux lampes conventionnelles (filament ou arc), les LEDs ne supportent pas la chaleur qu’elles dégagent. En d’autres termes, il faut évacuer la chaleur générée par la LED afin de maintenir une température de 60° C qui garantit 100 % de l’éclairement (peut-être d’avantage maintenant). N’oublions pas qu’une LED est avant tout un composant électronique qui ne supporte pas plus de 125° C de toute façon.
Outre l’intensité lumineuse qui est affectée par une température excessive mal gérée, la durée de vie des LEDs se trouve sensiblement diminuée. Rappelons qu’à l’inverse d’une lampe, quand une LED rend l’âme, c’est une rangée et souvent la dalle lumineuse entière - qui représente une partie importante et coûteuse du projecteur - qu’il faut remplacer.

Ce désagrément majeur nécessite donc une gestion de la chaleur très stricte, à l’aide d’un refroidissement passif (radiateur donc des appareils très lourds), ou actif (ventilateur donc pas apprécié des ingénieurs du son), et bien souvent un système hybride (radiateurs et ventilateurs). On se retrouve ainsi avec des projecteurs consommant 1 600 W qui pèsent 32 kg, plus 10 kg d’alimentation.

Le plus problématique reste néanmoins la taille de ces COBs. En effet, pour arriver à des fortes puissances (relativisons : on parle de 1 600 W au maximum), on réunit ensemble des petites LEDs en rond ou en carré, que l’on colle sur un radiateur. On se retrouve ainsi avec une source émettrice allant jusqu’à 10 x 10 cm dans le cas de 1 000 Watts. Impossible de faire un Fresnel digne de ce nom dans ces conditions car la source doit être ponctuelle pour que la qualité de plage soit optimale.
Que la lentille soit en plastique ou en verre, on n’obtiendra jamais l’effet de lumière "ronde" ou "enveloppante" d’un Fresnel dont, rappelons-le, la qualité première est d’avoir un centre de plage ponctuel plus puissant qui "tombe" graduellement vers le bord de la plage. La taille trop importante de la source lumineuse (le pavé de LEDs) fait que la lentille Fresnel n’a plus qu’un rôle de loupe qui va projeter la source grossie (y compris sa forme, ronde ou carrée) de plus ou moins grande taille en fonction de la focalisation, mais en aucun cas une plage dégradée, "travaillable".

Comme nous n’allons pas nous lancer dans la fabrication d’un énième projecteur à LEDs plat et que nous refusons de sortir un appareil optique qui n’ait pas les caractéristiques de sa fonction, nous n’avons pas encore sorti un appareil à LEDs. Cela ne veut pas dire que nous n’y croyons pas et que nous ne travaillons pas sur le sujet. En tout cas, ne vous attendez pas à voir un Fresnel à LED de chez nous de 800 W gros comme un 6 kW et lourd comme un 9 kW avec des ventilateurs partout.
C’est peut-être idiot mais nous croyons encore qu’avec des budgets, des équipes et des camions de plus en plus réduits, c’est absurde de mettre un "monstre" sur un décor qu’il faudra diffuser pour obtenir quelque chose d’utilisable. Ceci dit, il semble bien que l’on ait pris l’habitude de prendre des appareils avec des plages inexploitables d’origine et les rendre propre avec une diffusion.

Les Fresnel
Ce qui m’amène à la deuxième tendance qui ressort de ces deux salons d’utilisateurs : nous avons pu remarquer de la part de nombreux directeurs de la photo et de chef électriciens, aussi bien français qu’anglais, une attirance vers les Fresnel que nous exposons (envers et contre tout ?). Nous avons vu des mains qui se placent devant le faisceau d’un Alpha pour regarder l’ombre. Cela semble anodin mais cela faisait longtemps que nous n’avions pas vu cela, des gens qui vérifient la qualité des ombres et qui commentent : « C’est quand même autre chose, un Fresnel ! », comme si cela n’existait plus ! Il est vrai qu’il n’y en a plus beaucoup en vente. Arri vient, d’ailleurs, d’arrêter la fabrication des 12 et 6 kW Fresnel. Nous avons même appris que la nouvelle grande série de Granada (producteur de "Downton Abbey") est tournée en HMI, même en studio, et exclusivement avec des Fresnel.

L’utilisation de la lentille de Fresnel en photo et dans le cinéma vient du fait qu’avec une plage qui a un centre, on attire l’œil du spectateur où l’on veut : pour faire ressortir les yeux, le visage (regardez des photos du Studio Harcourt) d’un(e) comédien(ne) ou sur l’endroit où se situe l’action. À faire des éclairages diffus et sans direction, le spectateur se retrouve perdu comme devant un spectacle où le chanteur soliste n’est pas mis en avant dans un chœur.
Notre cerveau est ainsi fait qu’il est attiré par la partie la plus brillante, qu’elle soit dans le monde réel ou dans celui imaginaire d’un écran. La caméra doit raconter une histoire et non pas être le témoin passif d’une scène. Le directeur de la photographie n’a pas que le cadre, la profondeur de champ ou le mouvement de la caméra pour y arriver, il a aussi la lumière. En peinture, c’est même l’élément le plus important pour fixer l’attention où l’on veut qu’elle soit.

Pourquoi faisons-nous encore des Fresnel, alors que les projecteurs avec réflecteurs à facettes sont très utilisés ? Parce que c’est une source polyvalente avec une amplitude d’angle de faisceau de 5° à plus de 60°. Parce que c’est une source réellement contrôlable. Parce qu’il n’y a rien de plus beau qu’une large Fresnel créant une belle plage.

Un entretien avec un opérateur m’a particulièrement marqué. Il était sur le point de commencer un film et son chef électro a remplacé des projecteurs avec réflecteur à facettes (un 9 kW et un 1 800 W) qu’il avait mis sur sa liste par un Alpha 9 et un Alpha 1600. Il m’a demandé si je savais pourquoi. Je me suis avancé à dire que, s’ils sont en équipe légère et qu’il y a pas mal d’entrées de lumière du jour depuis l’extérieur, cela pouvait avoir du sens. Il m’a confirmé : « Oui, effectivement, on tourne beaucoup en intérieur jour et le réalisateur veut des ambiances contrastées avec des entrées de lumière marquées. »
Et moi d’expliquer que son "gaffer" se dit peut-être qu’il n’aura pas forcément besoin de diffuser pour n’avoir qu’une ombre et qu’il ne sera pas obligé de reculer la source pour retrouver des ombres visibles et naturelles s’il utilise un Fresnel. Il était satisfait de ma réponse et me dit qu’il n’y avait pas pensé. Alors qu’il allait partir encore dans ses pensées, à mon tour, je lui demande pourquoi il était parti sur ce type de projecteurs sur sa liste initiale. Sa réponse m’interpella : « Je me suis dit que j’avais besoin de pêche. Et puis l’habitude... »

On enregistre maintenant avec des capteurs de 800 ISO, on n’arrête pas d’entendre que les sources sont trop puissantes et on est encore à la recherche de la pêche ultime ! J’ai vu l’arrivée des PARs HMI lorsque LTM a remis ces sources (à la base tungstène) au goût du jour. Il n’a pas fallu très longtemps avant que ce type de lumière prenne le pas sur les Fresnel.
Cette nouvelle gamme offrait une puissance qui leur était largement supérieure tout en alliant un encombrement et un poids réduits. A l’époque, on tournait en argentique avec des sensibilités bien inférieures. Il y avait une justification et... on continuait à utiliser quand même des Fresnel. Les deux raisons pour lesquelles les Fresnel ont été délaissés à l’époque étaient le manque de puissance et l’encombrement.

Et puis, c’est quoi l’habitude ? Je pensais que l’on était encore dans un métier où l’on produit des prototypes tous différents (que ce soient des fictions, documentaires ou films de commande) et que l’on utilise donc des outils appropriés aux situations mais aussi et surtout aux choix artistiques. Il y a donc une liste magique qui permet de tout faire ?

L’état du matériel
Entendu aussi lors de ces deux salons : les doléances par rapport au vieillissement du matériel et la qualité des lampes... Sur la page Facebook du groupe (très intéressant) Electros-Machinos, j’ai récemment eu l’occasion d’expliquer quelques points importants.

« La polyvalence des Alphas amène aussi des "fragilités". Lorsque l’on peut retirer la Fresnel, elle est plus exposée. Lorsque l’on peut travailler en douche, on peut rapidement, sans s’en rendre forcément compte, mettre l’amorceur au-dessus de la lampe. S’il s’agit de problèmes récents et qu’il n’y en avait pas avant, c’est que l’on parle du vieillissement des appareils. J’ai eu récemment cette discussion avec un chef électro.
Il avait eu, pour une nuit, trois Alpha 18 qui lui ont été livrés par le loueur dont deux ne marchaient pas en arrivant sur le tournage. L’un avait un court-jus franc dans la tête à cause d’une pièce métallique qui touchait un câble (qu’il a réparé lui-même en insérant une pince à linge en bois) et le deuxième était sur une extension dont les fils étaient coupés. »

« On parle aussi des problèmes qui se produisent lorsque les Alpha 18 sont sur des ballasts de plus de 15 ans (et qui doivent forcément montrer des signes de faiblesse). C’est comme si l’on reprochait à Citroën d’avoir une voiture peu fiable parce que le loueur de voiture a mis un vieux moteur de Simca 1000 dans une carrosserie de DS3.
Si un loueur de voiture vous loue une voiture de plus de 10 ans, c’est la faute du fabricant de la voiture ou du loueur si la voiture tombe en panne ? Bien sûr, les loueurs ne proposent pas des voitures de plus de six mois, mais le jour où les utilisateurs ne voudront pas payer plus de cinq euros la journée, ça sera certainement le cas. »

« J’entends dire que les projeteurs à facettes de la concurrence sont plus fiables. Peut-être parce qu’ils sont moins vieux que les Alphas et n’ont pas encore autant de kilomètres ? Peut-être parce qu’ils sont lourds et volumineux et que lorsque que l’on met un Rain Cover* collé dessus, cela a moins d’incidence ? Peut-être parce qu’ils ne sont pas utilisés en douche et bien souvent au-delà des 90° vers le bas exposant câbles et amorceurs à des températures importantes ? Pourtant, même dans ces conditions extrêmes, les appareils fonctionnent, mais il faut quand même regarder un peu sous le capot de temps en temps.
Les budgets serrés ont amené les loueurs à faire des sacrifices et, malheureusement, la maintenance a été l’une des premières victimes de ce phénomène, juste après le renouvellement de matériel. Nous avons commencé pour quelques loueurs une remise à neuf des appareils que nous faisons nous-mêmes dans nos ateliers, car à chaque fois que nous avons donné des pièces à un loueur pour le faire, le service de maintenance qui rétrécit d’année en année n’a pas eu le temps de faire les modifications. »

« Les Alphas sont souvent sortis et passent parfois d’un tournage à l’autre sans même avoir été testés. Nous ne sommes certainement pas la NASA et ne sommes pas à l’abri d’erreurs de conception ou de montage. Ce que nous corrigeons le plus rapidement possible. En tout cas, nous sommes toujours, après 25 ans, des artisans et restons à l’écoute et accessible aux critiques. »

* Précision concernant les Rain Cover : je reviens brièvement sur ces accessoires qui sont bien pratiques mais qui créent et créeront à terme un vieillissement accéléré des lampes et des composants mais également des câbles. Si tout le monde le sait et assume, nous n’y voyons pas d’inconvénient, mais il est de notre devoir de rappeler que le matériel est étudié avec une ventilation adaptée en fonction de la puissance de la source. N’oubliez pas non plus qu’obstruer les ventilations du haut stoppe le flux d’air qui vient d‘en bas et équivaut à ne pas laisser entrer d’air "frais" dans l’appareil.

On peut trouver des solutions plus raisonnables. Nous sommes ouverts à vos suggestions.