Murder Party

«  Rien ne sera jamais trop !  »

La première fois que je découvre le scénario de Murder Party, j’ai l’impression de plonger dans une histoire d’Alfred Hitchcock. Nicolas et sa co-scénariste (Elsa Marpeau) prennent le temps de « poser une bombe sous la table ». Aussi était-il logique qu’à la fin de la lecture, je me retrouve « aux quatre coins de Paris, éparpillé par petits bouts, façon puzzle. » (M. Audiard).

Mais si Nicolas Pleskoff connaît ses classiques et aime particulièrement l’écriture – il a écrit et co-écrit un grand nombre de scénarios – il fait partie de ces réalisateurs français qui s’intéressent également beaucoup à l’image. Lors de notre premier rendez-vous, il est très clair : « C’est un film qui parle de jeu ! Chaque séquence doit être ludique ! Chaque plan ! Chaque image ! Au niveau de la texture, des couleurs, des cadres... Faut que ce soit pop ! C’est un film à prendre au premier degré, de la bande dessinée, du cartoon... Rien ne sera jamais trop ! » (sic)

 Nicolas Pleskof à l'étalonnage devant un essai d'objectif à décentrement - Photo Gilles Porte
Nicolas Pleskof à l’étalonnage devant un essai d’objectif à décentrement
Photo Gilles Porte


Cette dernière exclamation est très révélatrice de l’état d’esprit de Nicolas, à la veille de la réalisation de son premier long métrage de fiction. Il ne veut rien regretter quand, plus tard – c’est à dire aujourd’hui – Murder Party sort sur le grand écran...
Combien sommes-nous, nous, directeurs et directrices de la photographie, à constater le délitement de certaines idées artistiques établies au départ ou/et les rétro-pédalages de celui ou celle qui réalise le film uniquement parce qu’un producteur est passé par là, un diffuseur, un comédien, un technicien, un monteur, un scénariste ou tout simplement un invité qui a donné son avis derrière un moniteur... Mais comment ne pas douter, surtout si votre film est le premier ?
Nicolas, lui, ne modifie pas son cap. Aussitôt aux commandes de sa fusée rouge et blanche, il conduit chaque membre de l’équipage sur sa planète et vise la lune ! Il n’ignore rien du dicton : au pire, il termine le cul dans les étoiles ! Alors Nicolas ne cesse d’affirmer la radicalité de ses choix et de monter les curseurs. Suivant chaque étape de l’élaboration de son film (écriture, ré-écritures, repérages, découpage, confection des costumes, des décors, essais filmés, coiffures, maquillages, tournage, montage, étalonnage, mixage, confection de la bande annonce, affiches multiples...) avec une attention toute particulière, Nicolas est conscient de la chance qu’il a d’être aux commandes de son Murder Party après cinq ans d’attente dans les stands. S’il lui a fallu un peu de temps pour lui attribuer son permis de conduire sur les routes balisées des Tankers – en raison d’un cinéma de genre jusqu’ici peu prisé dans l’hexagone – aucune crainte de croiser Nicolas à un péage. Il nous entraine sur des voies parallèles et singulières. Le voyage est magnifique… l’aventure fantastique ! La voiture est des années cinquante... le château, "gothique troubadour"... Ses souterrains terriblement mystérieux... Nicolas profite de chaque instant comme s’il s’agissait du dernier, conscient de l’importance de sa traversée et du péril de celle-ci dans un paysage cinématographique français souvent terriblement naturaliste. Il n’ignore rien de l’importance des vents, du danger des courants, de la hauteur des marées... En tant qu’excellent capitaine, c’est lui qui assure personnellement la direction artistique de son film, échangeant toujours avec celles et ceux avec qui il a choisi de s’entourer précisant, sans aucune démagogie, qu’il considère chaque chef de poste comme le plus important de ses acteurs. Il le prouvera à chaque instant. Que la complicité entre un réalisateur, un chef décorateur (merci Jérémy Duchier) et un directeur de la photographie est belle quand elle permet de résoudre certaines équations imposées parfois par des postulats terriblement réalistes. Réduire cependant le travail de l’image à trois départements (image, déco, réa) ne serait toutefois pas juste tant costumes, maquillages, coiffures mais aussi scripte, assistantes réa, étalonneuse, coloriste et bien sûr production et post production ont collaboré pour faire en sorte que l’image de Murder Party ressemble à celle que Nicolas souhaitait.
Nicolas encourage chacun de nous à aller encore plus loin, à prendre plus de risques. Si nous doutons, il lance un « trop naturaliste » afin de bien remettre les quatre tours dans les coins de l’échiquier. Aucune texture, aucun choix de couleur, aucune teinte de lumière n’a débarqué sans que Nicolas ne valide nos propositions nées après de longs échanges. Merci au passage l’équipe de M141 (qui a suivi tous les courts-métrages de Nicolas) pour son professionnalisme, sa bienveillance, son attention, sa disponibilité quand Nicolas et moi faisions des allers-retours en cours de montage. M141 a assisté à nos revirements et c’est grâce à des essais multiples que nous sommes arrivés à un résultat qui était celui voulu par Nicolas afin qu’il cesse de nous dire « Plus encore ! »
C’est rare de travailler avec un tel collaborateur dans le cinéma français où la doctrine serait plutôt : « Less is more » ! J’avais eu ce sentiment, il y a très longtemps, quand j’avais collaboré avec Raoul Ruiz (à la fin de sa vie) qui ne cessait, lui aussi, de pousser des techniciens dans leurs retranchements. Mais Raoul était chilien et combien de films avait-il réalisés avant d’inviter chacun de ses collaborateurs à « plus de folie » ? Raoul qui m’avait confié un jour avoir commis beaucoup d’actes de folie dans son cinéma et ne regretter qu’une seule chose, celle de ne pas en avoir commis davantage !
Bien en amont du tournage, Mathilde Delacroix (étalonneuse), Florine Bel (coloriste) et moi proposons à Nicolas différentes directions... Avec Mathilde, on s’était d’abord orienté vers l’univers Technicolor, sous le regard bienveillant de Maryline Monroe postée à l’accueil de M141. Mais Nicolas reconnaît que ce chemin qu’il nous avait invité à prendre n’était pas le bon… Il veut changer de direction ! Hitchcock est remplacé par Almodovar sur ce registre... Et, après la 4e projection d’essais, Nicolas nous sort de sa poche... des bonbons acidulés !!! « C’est ça que je veux ! » (sic)....
Je remercie au passage Vincent Mathias qui m’avait soumis l’idée de faire une étape d’étalonnage supplémentaire - alors que j’étais en pleine réflexion - en cours de montage. Cela nous a assurément permis d’aller encore plus loin (et de manger beaucoup de bonbons acidulés !) avant de rendre notre copie (et de faire du sport !). Une semaine d’étalonnage (déduite du temps final) pour mieux affiner certaines directions, en cours de montage offre un SAS de réflexion très intéressant.

Lorsque nous avons attaqué le tournage de Murder Party (novembre 2020), nous étions en plein confinement. Ca tombe bien, le scénario est un huit-clos avec 8 personnage – chacun a sa couleur comme des pions de jeu de société - enfermés dans un château, en province (baie de Somme). Afin de rendre le château dans lequel nous tournons moins réaliste, Nicolas ne souhaite aucune découverte. Alors les machinistes sassent toutes les fenêtres (avec un immense escalier) afin que je puisse jouer avec des « à plat » de couleurs : « rose » pour « le jour »... « Bleu roi » pour « la nuit ». Aucune lumière du jour ne pénètre... « Il faut que ça pue le studio ! » (sic).
Faute de pouvoir tourner en studio, Nicolas transforme son château en plateau de jeu ! Les projecteurs à leds y participent beaucoup. Le « salon fleuri » du château (classé monument historique) est si fragile qu’il m’est impossible de construire un plafond technique classique alors que la mise en scène de Nicolas l’exige. Gregory Bar (chef électricien), Julien (chef machiniste) et moi utilisons alors des filets de foot et accrochons des ampoules Astera que l’on emmitoufle ensuite dans des boules en papier, hors champs. Ampoules que l’on éteint en fonction des axes de prises de vues. La haute sensibilité de la caméra Sony Venice (2 500 ISO) nous permet de travailler au diaph souhaité.
Nicolas adore nous voir travailler et chercher. Parfois il se met dans un coin et nous accompagne avec un petit sourire complice. Dès qu’il prend connaissance d’un nouvel outil, il réfléchit à la possibilité de l’inclure dans sa dramaturgie sans jamais séparer le fond de la forme : un drone filme son château comme un plateau de Cluedo... Une grande vitre posée sur une immense table réfléchit le propriétaire des lieux (Eddy Mitchell) afin de mieux le représenter comme une roi au milieu d’un jeu de belotes...

Eddy Mitchell : Roi de pique
Eddy Mitchell : Roi de pique


Les VFX montent des murs en brique jusqu’au ciel... Les nuits sont américaines avec des références empruntées à Mad Max… Les transparences hitchcockiennes avec de véritables rétroprojections d’éléments filmés derrière un comédien qui conduit une voiture immobile que des machinistes agitent de temps en temps...

Transparence
Transparence


Des cerveaux en plastique s’éclairent de toutes les couleurs reprenant le principe d’un jeu de société célèbre... Un immense tunnel avec des murs mous va à la rencontre d’Alice...
Rarement le mot « jouer » n’a pris autant de sens sur un plateau de cinéma !

Gilles Porte (AFC)

Post scriptum :
Alors que je rentre de deux mois en Asie, sur un autre film, très différent, j’ai aujourd’hui une énorme pensée pour toutes ces réalisatrices et ces réalisateurs qui nous emmènent sur leur barque, dans leur univers et avec lesquels(elles) nous faisons une traversée avant de partir naviguer sur d’autres flots. Notre métier sera toujours, je crois, de rentrer, comme des caméléons, dans l’univers de celui ou celle avec qui on collabore. Certains voyages ne laissent pas indemnes et scellent parfois une amitié. Murder Party fait assurément partie de ceux-ci....
Puisque c’est la première fois que je présente un film à l’AFC, après sa date de sortie (mercredi dernier), je souhaite adresser un mot personnel à celui qui découvre les terribles lois d’un marché tendu comme jamais :
« Nicolas... Où que tu sois au milieu des étoiles... Continue de choisir tes mots, tes décors, tes couleurs, tes textures, tes cadrages, tes mouvement de caméra... Continue d’écrire, de dessiner, de filmer, de faire des maquettes, de jouer, de rêver, d’être fou sans jamais oublier que lorsque certains peintres ont décidé un jour de colorier des ombres en bleu, ils s’étaient fait critiquer par un journaliste célèbre qui avait déclaré n’avoir vu qu’ « une impression de peinture ». Un article qui allait donner le nom à un immense mouvement dont on sait ce qu’il est advenu. N’abandonne pas cette planète que tu m’as fait découvrir où les kalaches seront toujours en plastique et le jaune et bleu jamais bafoués dans de la boue... »

Bande annonce


https://youtu.be/yZMRzai9pQc

Équipe

Premier assistant opérateur : Steve De Rocco
Deuxième assistant opérateur : Fahde El Hafiane
Assistante vidéo : Margot Cavret
Chef électricien : Grégory Bar
Chef machiniste : Julien Marc
Opérateur Steadicam : Mathieu Caudroy
Chef décorateur : Jérémie Duchier
Créatrice des costumes : Dorothée Guiraud
Maquillage : Mathilde Josset, Valérie Chapelle, Céline Regnard
Coiffure : Juliette Martin, Christine Cardaropoli, Reynald Desbant

Technique

Matériel caméra : Panavision Alga (Sony Venice 6K, série Primo 70 et zoom Angénieux Optimo 45-135 mm)
Matériels lumière et machinerie : Panalux et Panagrip
Laboratoire : M141
Etalonnage : Mathilde Delacroix

synopsis

Jeanne Chardon-Spitzer, brillante architecte, se voit confier la réhabilitation du somptueux manoir des Daguerre, étrange famille à la tête d’un empire du jeu de société. Quand César, le patriarche, est retrouvé assassiné en pleine Murder Party, Jeanne est entraînée dans un jeu d’enquête grandeur nature pour démasquer le meurtrier.