Notes de lecture sur "Au travail avec Eustache", de Luc Béraud

Par Dominique Gentil, AFC
Dans une période particulièrement créative du cinéma français, les années 1970, Luc Béraud a été scénariste des films de Claude Miller (La Meilleure façon de marcher, L’Effrontée), de Pierre Jolivet, Bernard Stora, Alain Jessua…, metteur en scène de longs métrages, acteur occasionnel, assistant réalisateur d’Alain Robbe-Grillet, Claude Miller, Jacques Rivette, Patrice Leconte et de Jean Eustache

Luc Béraud est fort d’une large connaissance de la fabrique du cinéma.
Témoin inspiré, il nous raconte, en compagnon investi, les moments intenses qu’ont été cet accompagnement pour les tournages de ces films majeurs, La Maman et la putain (1973) et Nos petites amoureuses (1974). Eustache est un metteur en scène de la vérité ; sa création emprunte souvent pour se révéler des méandres périlleux et imprévisibles. L’accompagner au travail, c’était gérer l’équilibre précaire, entre énergie créative exceptionnelle et mise en danger perpétuelle, de lui-même, de son projet.

Tournage de "Mes petites amoureuses" à la gare de Narbonne - De g. à d. : Bertrand van Effenterre, Henri Martinez, Martin Loeb, sur les épaules de Luc Béraud, Alain Centonze, Néstor Almendros, de dos, Jean Eustache, à la caméra, Renée Renard et Dominique Le Rigoleur, en profondeur - Photo Pierre Zucca
Tournage de "Mes petites amoureuses" à la gare de Narbonne
De g. à d. : Bertrand van Effenterre, Henri Martinez, Martin Loeb, sur les épaules de Luc Béraud, Alain Centonze, Néstor Almendros, de dos, Jean Eustache, à la caméra, Renée Renard et Dominique Le Rigoleur, en profondeur - Photo Pierre Zucca

Luc Béraud nous fait partager les doutes et les souffrances d’Eustache, avec la justesse du professionnel et la fraternité d’un ami. Mais son texte est aussi l’observation de l’approche cinématographique très personnelle d’Eustache, qui entremêle fiction et réalité, cela sans pudeur.
Eustache nourrissait ses scénarios en s’inspirant essentiellement de son vécu et ses acteurs pouvaient être les vrais protagonistes de l’histoire qu’il racontait, ce qui est le cas de La Maman et la putain. De page en page, le lecteur accompagne l’équipe dans ses journées de travail où gagner une séquence est une victoire, tant le metteur en scène n’est pas l’homme des compromis.

Au-delà d’Eustache, le technicien impliqué qu’est Luc Béraud sait raconter, avec conviction, le quotidien des tournages ; le travail de premier assistant à la mise en scène ; les journées organisées au cordeau, dont les prévisions malheureusement s’effondrent et nécessitent une réactivité inventive ; les nuits blanches pour maintenir le tournage du lendemain…
Quelle peut être l’implication du directeur de la photo sur un film ? C’est la question que pose Luc, observant dans l’action Pierre Lhomme (La Maman et la putain) et Nestor Almendros (Nos petites amoureuses). L’un et l’autre se distinguent par leur accompagnement artistique/technique et leur relation très différente avec le metteur en scène.

Tournage de "Mes petites amoureuses" sur les allées de Narbonne - De g. à d. : Jean-Louis Ughetto, perche en mains, Jean-Claude Gasché dit Petit Claude, derrière la perche, Armand Barbault, Irène Lhomme, de dos, Jean-Claude Rivière, Luc Béraud, penché, Néstor Almendros, debout derrière la caméra, Jean Eustache, à l'œilleton de la caméra, Johannes Brunet dit Jojo, torse nu, et Bertrand van Effenterre ; assis sur le banc Martin Loeb, de dos, et un garçon de la bande des 4 Fontaines - Photo Pierre Zucca
Tournage de "Mes petites amoureuses" sur les allées de Narbonne
De g. à d. : Jean-Louis Ughetto, perche en mains, Jean-Claude Gasché dit Petit Claude, derrière la perche, Armand Barbault, Irène Lhomme, de dos, Jean-Claude Rivière, Luc Béraud, penché, Néstor Almendros, debout derrière la caméra, Jean Eustache, à l’œilleton de la caméra, Johannes Brunet dit Jojo, torse nu, et Bertrand van Effenterre ; assis sur le banc Martin Loeb, de dos, et un garçon de la bande des 4 Fontaines - Photo Pierre Zucca

Les annotations et de nombreux commentaires font aussi de son livre un manuel de cinéma : de l’utilité du cube 15x20x30 ; de la définition de la longueur focale d’un objectif ; du fonctionnement de l’avance sur recette ; du coût des droits d’auteur pour une musique et des conséquences désastreuses d’une négociation tardives pour son acquisition ; de l’importance de la feuille de service ou de la valeur symbolique du nom inscrit sur le clap, nom que l’on change lorsque le producteur tourne une séquence pour cause d’absence d’Eustache… et vous apprendrez comment filmer le départ d’un train sans avoir à le faire rouler.

Avec son titre, Au travail avec Eustache, Luc Béraud nous confirme combien l’obstination et une énergie surhumaine sont nécessaires au metteur en scène pour mettre en œuvre son projet cinématographique. Il décrit combien cette collaboration de tous les techniciens repose sur des principes essentiels : l’adhésion au projet et la fidélité à la vision du metteur en scène.
Luc est aussi le témoin d’un temps où les films pouvaient se faire avec plus de liberté, de folie et, peut-être, de conviction.
Ils se font sans doute comme cela ailleurs.

Au travail avec Eustache (making of), de Luc Béraud
Institut Lumière - Actes Sud, janvier 2017