Nous avons reçu cet e-mail d’Haskell Wexler

AFC newsletter n°118

Chers camarades français,

Conrad Hall s’est toujours considéré comme un raconteur d’histoires. Quel incroyable raconteur d’histoires en images ! Il avait un vocabulaire visuel varié, qu’il a démontré pendant plus de 50 ans, remportant des Academy Awards à 30 ans de distance.
Lors de la commémoration que nous lui avons consacrée ici à Los Angeles, nous avons célébré un véritable artiste. Le travail de Conrad restera pour nous à voir, à étudier et apprécier aussi longtemps que la technologie pourra conserver les films. Notre communauté cinématographique comprend qu’il était un homme insolite (exceptionnel), spécial.

Le fait que Conrad était né à Tahiti et avait deux passeports ne devrait pas passer inaperçu.
Je me rappelle Conrad parlant avec un directeur de la photographie français. Il avait une longue conversation très animée, Conrad parlant son "français de Tahiti". Ne comprenant pas le français, je demandai à Conrad l’objet de cette conversation pleine d’entrain. Je m’attendais à ce qu’il s’agisse de pellicule, de format ou des habituels propos techniques communs lors des réunions d’opérateurs américains.
Eh bien, non, ils parlaient de vins français, d’un film iranien, des pesticides et de Bush qui veut faire la guerre à cause du pétrole.

Il y a tant de tentatives maintenant pour nous réduire à l’état de techniciens obéissants, pour faire du travail notre vie.
Conrad a toujours travaillé dur, il aimait son travail et avait un plaisir douloureux à filmer. Mais il n’a jamais fait l’erreur de penser que le travail était toute sa vie.
Peut-être sa nature tahitienne lui avait-elle enseigné qu’il y a plus dans la vie que "moteur" et "coupez".

Il laisse trois incroyables enfants et petits-enfants, qui n’ont jamais manqué d’amour et d’attention. A sa commémoration, il y avait Katharine Ross, Virginia, la mère de ses enfants, Susan, son épouse et de nombreuses femmes anonymes qu’il avait aimées et qui l’aimèrent jusqu’à la fin.
Elles étaient toutes de vraies amies de Conrad et également entre elles.

Lors de nos discussions à l’ASC, Conrad, avec Roger Deakins, voulait que nous ayons des liens plus étroits avec les professionnels du film en Europe et dans le monde entier. Le commerce est international, mais nous, travailleurs, ne le sommes pas.
Les horaires de travail sur le dernier film de Conrad étaient épouvantables. Aux Etats-Unis, maintenant, les journées de travail durent 14, 16, souvent 18 heures. "Road to Perdition" ne faisait pas exception, sauf que c’était un tournage de six mois.

Quand il apprit qu’il avait un cancer, Conrad écrivit ceci : « En tant que directeurs de la photographie, nous avons la responsabilité de l’image visuelle du film autant que du bien-être de notre équipe. La pratique qui se répand de travailler un nombre d’heures incalculables peut compromettre non seulement la qualité de notre travail mais aussi la santé et la sécurité des autres ».

Il avait demandé à Roger Deakins et à moi-même de diffuser ces mots dans le monde entier.
Pourriez-vous demander à vos membres de prendre en considération ce que Conrad a écrit ?
Notre ami est bien vivant et ne sera jamais oublié.

Sincèrement
Haskell Wexler
(traduit par Jean-Jacques Bouhon)