Nouvelle attaque de Bruxelles sur le financement du CNC

Par Sarah Drouhaud

La Lettre AFC n°222

Le Film français, 15 juin 2012

En attente depuis huit mois, la validation à Bruxelles de l’aménagement de la taxe sur les services de télévision (TST), qui alimente le fonds de soutien, est menacée de faire l’objet d’un très long report. Ce qui compromettrait les finances du CNC. Ce qui devait être un simple toilettage de la taxe sur les services de télévision qui finance le Compte de soutien vire au véritable bras de fer avec Bruxelles.

Risque d’un report de 18 mois
Le CNC a notifié à la Commission européenne en fin d’année la réforme adoptée dans le cadre de la loi de finances 2012 pour validation.
Cette réforme a notamment pour objectif de mettre fin au contournement de la taxe par l’opérateur Free, en modernisant son assiette de la manière suivante : tous les distributeurs de services de télévision y contribuent quelles qu’en soient les modalités techniques et commerciales. Elle ajuste également l’abattement sur le CA des entreprises concernées à 66% pour ne tenir compte que de la seule part audiovisuelle des services. Enfin, elle révise le barème avec des taux à la baisse, afin de limiter le rendement de la taxe, plus important qu’escompté.

Mais huit mois après la notification du CNC, la réponse de Bruxelles se fait toujours attendre. La Commission européenne avait transmis d’abord en décembre puis en avril dernier des questionnaires complémentaires, reportant d’autant la décision qu’elle annonçait au 26 juin 2012. Aujourd’hui, un nouvel élément fait craindre d’une mauvaise nouvelle le 26 juin.
En effet, l’équipe de Neelie Kroes, la commissaire européenne à la Stratégie numérique, qui est très proche des acteurs des télécoms, plaide pour l’ouverture d’une phase d’analyse approfondie du dossier. Ce qui pourrait reporter la décision entre 12 à 18 mois !
Ce dossier est piloté par l’équipe du Commissaire à la concurrence Joaquin Almunia, direction à la réputation exigeante. Or, selon un proche du dossier la DG Concurrence n’aurait a priori pas de doutes sur la compatibilité de la réforme au regard du droit de la concurrence.

La TST et le contentieux sur taxe télécoms sur l’audiovisuel public mis en parallèle
Mais les arguments du cabinet Kroes pourraient porter. Son équipe établit en effet un parallèle entre le dossier TST et le contentieux en cours de la Commission contre la taxe télécoms de 0,9% destinée au financement de l’audiovisuel public, taxe désignée sous le nom de TOCE. Les services Stratégie numérique craignent en fait qu’une validation de la TST n’affaiblisse la position de Bruxelles dans son contentieux avec la France sur la fameuse taxe TOCE. Taxe qui, si elle était retoquée comme le craigne les pouvoirs publics, obligerait la France à trouver de nouvelles ressources pour le service public.
Sur la TST, les services de Neelie Kroes émettent aussi des doutes sur le taux d’abattement de 66% du chiffres d’affaires, et plus largement des doutes sur la compatibilité du système avec la directive télécoms dite « autorisation ».

150 M€ de recettes fiscales en jeu pour le Centre
Le CNC met d’abord en avant que cet aménagement de la TST a été voté à l’unanimité par le Parlement français et surtout qu’il a été préparé avec les opérateurs de télécoms eux-mêmes. Il indique également que le système retenu a pour objectif de mettre en place une neutralité technologique selon les opérateurs. Parmi les autres nombreux arguments, le Centre met en avant une conformité totale de la réforme de la TST avec la directive Télécoms et souligne que la taxe ne fait peser aucune nouvelle charge aux opérateurs télécoms.
En tout cas, aujourd’hui, l’absence de validation de la réforme de la TST remet en cause ses finances et donc celles de la profession. Les pertes de recettes fiscales effectives depuis 2011 peuvent atteindre jusqu’à 150 M€ en année pleine selon le CNC. Cela devrait se traduire par l’abandon du programme de numérisation des œuvres du patrimoine notamment (récemment validé par Bruxelles), initiative pourtant saluée par Neelie Kroes récemment !
Le CNC redoute en outre que la décision d’ouvrir une phase d’examen approfondi ait pour conséquences de fragiliser l’ensemble du régime français du fonds de soutien et des taxes qui l’alimentent.

Sarah Drouhaud, Le Film français, 15 juin 2012