"Nuytten/Film : Ombre et lumière"

La Lettre AFC n°262

Dans "Carnets", une rubrique du site Internet du cinéma Café des images à Hérouville-Saint-Clair (Calvados), un billet de David Vasse salue le « projet rare que celui entrepris par Caroline Champetier, pour un film [Nuytten/Film] dont on aurait tort de croire qu’il s’agit simplement d’un hommage ou d’un essai sur une ancienne gloire de la photographie du cinéma français », Bruno Nuytten.

Extraits...
« Bien qu’évoquant le principe de la série Cinéma de notre temps (des cinéastes filmés par d’autres cinéastes), ce Nuytten/Film ne se limite pas au cas exceptionnel d’une directrice de la photo filmant un ex-directeur de la photo, il fonde sa singularité dans ce qui a motivé en grande partie son geste : le besoin d’en savoir plus sur le retrait des plateaux de celui qui aura signé quelques-unes des lumières marquantes du cinéma français des années 1970 et 1980.
Plus une enquête, en somme, qu’une célébration, le film de Champetier se situe à l’angle dérobé d’une décision dont elle admire l’audace autant que le mystère, l’aplomb autant que la part secrète. Avec modestie, elle s’emploie à faire autrement la lumière sur un homme qui a cessé depuis longtemps d’en faire, préférant désormais travailler non pas dans l’ombre (qui est une façon de continuer à en créer, de la lumière) mais à l’ombre, pour lui-même, en marge d’un milieu qu’il avait fini par ne plus reconnaitre, au service duquel il avait surtout le sentiment de ne plus s’appartenir. » [...]

Faire la lumière dans un plan relève du travail manuel, de la physique pure.
« Nuytten a arrêté le métier de directeur de la photographie mais il ne s’arrête pas, Champetier le filmant occupé à fixer du parquet en compagnie de ses fils et de sa compagne. Pas besoin de lui demander de raconter les hauts et les bas de son parcours la tête entre les mains ; il le fait au contraire la tête libérée et les mains toujours à polir la matière.
Souvenirs off et images du bonhomme au taquet entre les lattes de bois et le bruit des scies sauteuses, ponctués d’extraits des films qui ont fait sa notoriété, ainsi va Nuytten/Film, sereinement, patiemment, concrètement guidé par l’idée défendue par Nuytten, et ô combien partagée par Champetier, selon laquelle faire la lumière dans un plan relève du travail manuel, de la physique pure, et que cela réclame beaucoup de préparation, quitte à s’imprégner de la lumière naturelle des lieux quelque temps avant de tourner. » [...]

Préférer la probité de l’artisanat à la noblesse de l’art, c’est défendre la durée concrète de la besogne contre le temps sacré de l’œuvre.
« C’est par là aussi qu’il faut prendre au sérieux le vœu de Nuytten d’être un personnage. « Tout ce qui n’est pas romanesque ne m’intéresse pas », déclare-t-il à la fin du film, précisant que l’esprit d’enfance n’est pas étranger à cette affirmation. Du reste aura-t-il passé des heures à montrer que l’art était pour lui un objectif inaccessible, admirable chez les autres mais impossible à reproduire, et que seul le travail, l’endurance du travail, pouvait prétendre à une certaine idée de l’accomplissement des choses.
Préférer la probité de l’artisanat à la noblesse de l’art, c’est en effet opter pour la vertu romanesque contre la tendance romantique, c’est défendre la durée concrète de la besogne contre le temps sacré de l’œuvre. De même que se retirer prématurément de la scène n’est pas sans panache, achevant de rendre crédible une aussi étonnante confession de la part d’un homme jadis habitué à se tenir derrière la caméra.

En signe d’amitié et de gratitude, Caroline Champetier y répond sous la forme d’un toit offert en un raccord. Dans un film aussi peuplé de maisons, in et over, il fallait bien que leur synthèse aboutisse à l’illusion d’une même occupation des lieux, qu’un personnage de film rencontre l’aspirant personnage Nuytten. C’est ce qui se passe dans un extrait d’Hôtel des Amériques (1981), l’un des films de la collaboration Nuytten-Téchiné. Hélène (Catherine Deneuve) traverse l’intérieur de La Salamandre, cette grande maison à l’abandon que son mari défunt lui a laissée en héritage et dont elle ne peut ni ne veut s’occuper, par peur d’y croiser les fantômes de leur histoire.
De pièce en pièce, elle recherche Gilles (Patrick Dewaere), l’homme qu’elle craint d’aimer dans la hantise d’un deuil qui n’en finit pas. Un plan l’accueille au dernier étage, elle regarde en direction de Gilles mais au contre-champ attendu sur lui se substitue un plan de Bruno Nuytten en train de poser une latte de bois sur le plancher, l’intégrant comme par magie dans l’espace de la fiction. » [...]

  • Lire le billet dans son entier sur le site Internet du Café des images.