"Nuytten/Film" projeté au Festival international de cinéma de Marseille
Un portrait réalisé et filmé par Caroline Champetier, AFC
« Hétéroclite par nature, cette programmation rassemble des portraits, à savoir cet usage de l’art cinématographique pour faire voir et entendre, comme nul autre, la jointure entre une voix et des gestes, entre un corps et des phrasés, entre un décor et des récits. C’est à la fois le degré zéro du cinéma (on se souvient, justement, de Numéro Zéro, d’Eustache à faire parler sa grand-mère) et une mission d’archivage, de témoignage de grande ambition.
Car il ne s’agit pas espérer élucider quoi que ce soit, "ficher" qui que ce soit, "saisir" et rassembler de force ce qui ne cesse de se déplier en feu d’artifice derrière un nom propre. Il s’agit, au contraire, d’offrir à l’énigme d’être toutes les chances d’épaissir, de gagner en mystère, en fascination. Il s’agit de nous permettre de devenir complice sans aucune familiarité avec l’autre, le lointain, le distant, l’inconnu. »
« Il s’agit, comme disait Nietzsche, d’exercices d’admiration. Entre le foisonnant Les Choses et les mots de Mudimbe, portrait de 4 heures d’un intellectuel congolais, Valentin-Yves Mudimbe, de Jean-Pierre Bekolo et l’évocation par Manuel Mosos du grand directeur de la cinémathèque portugaise, feu Joao Bernardo da Costa, au titre si programmatique, D’autres vont aimer les choses que j’ai aimées, il y a autant de différences que de liens manifestes.
Entre le portrait de l’Iran contemporain proposé dans Télécommande et celui de deux migrants en Serbie dans Abdul et Hamza, il y a une telle distance apparemment, qu’elle semble interdire tout partage et pourtant une même réserve, pudeur et franchise sans détour se font écho. »
« Autre proposition, le beau Nuytten/Film que Caroline Champetier consacre à Bruno Nuytten, portrait d’un directeur de la photographie par une directrice de la photographie : hommage du travail au travail (on y voit le grand monsieur se pencher pour poser un parquet), hommage de la lumière par la voix. Cette leçon de modestie et cette réflexion sur l’image et sa fabrication ne manquera pas de résonner avec le portait d’un collectionneur belge d’art conceptuel, Herman Daled, qui a choisi d’interrompre, comme Nuytten, sa passion ainsi qu’il s’en explique dans La Collection qui n’existait pas, de Joachim Ollender. »
« Au milieu de ces films, l’un revêt aujourd’hui un caractère particulier : Oncle Bernard – L’Anti leçon d’économie. Il s’agit du remontage des rushes d’un entretien avec le fameux économiste Bernard Maris filmé il y a quelques années par Richard Brouillette. Celui qu’on appelait aussi Oncle Bernard a péri dans la tuerie de Charlie Hebdo en janvier dernier. On le voit ici parler d’économie avec une belle fermeté et une grande clarté. On le voit vivant et déterminé à défendre les valeurs de l’existence contre les lois mensongères d’un marché fictif. »
Jean-Pierre Rehm
Projections de Nuytten/Film, de Caroline Champetier
- dimanche 5 juillet au MuCEM à 18h30,
- lundi 6 juillet à la Villa Méditerranée à 16h30.
(Source : FID Marseille)
- Lire l’entretien accordé par Caroline Champetier à propos de son documentaire Nuytten/Film
Dans le portfolio ci-dessous, dix images extraites de Nuytten/Film, suivies de neuf autres qui surgissent du parquet en train de se faire venant du passé de Bruno Nuytten, directeur de la photo, et du cinéma.