Olivier Godaert, chef électricien, va nous manquer
Par Céline Bozon, AFC, Yves Cape, AFC, SBC, Thierry Jault, AFC, Serge Bozon et Stéphane ThiryCéline Bozon
La première fois que j’ai vu Olivier, c’était pour le film de Gilles Marchand, L’Autre monde, qu’on a tourné en 2009. La production, pour des raisons de coproduction, me demandait de rencontrer des Belges ; j’avais vu Stéphane Thiry, chef machino, il m’avait présenté Olivier et m’avait dit qu’il faisait le film si Olivier le faisait comme chef électro.
La veille du tournage ils sont venus me voir tous les deux, très énervés parce qu’un changement de plan de travail les empêcherait d’aller au concert d’ACDC, prévu de longue date. On avait fini par s’arranger et ils étaient partis plus tôt à une fin de journée. Je me souviens avoir eu un peu peur de la suite des évènements…
Et puis nous avons passé quasiment cinq ans ensemble et fait six longs métrages. Son calme, mêlé à une présence fine et discrète, m’a toujours porté. Il était d’un soutien sans faille, y compris dans des moments de doutes et de grande tension où je le saoulais de paroles en listant tout ce qu’il y avait à faire dans le peu de temps qui nous était imparti. Il m’a appris plein de choses et il avait encore plein de choses à m’apprendre.
Les préparations des films étaient fiévreuses et précises ; le bon nombre de personnes, le bon matériel, ni plus ni moins. Nous faisions systématiquement de longues séances pendant lesquelles j’essayais de lui transmettre tout ce que j’avais cru comprendre du film et ce vers quoi il fallait qu’on tende tous les deux. Sur les plateaux, j’adorais ses initiatives et la manière qu’il avait d’acquiescer à tout ce que je disais et de faire absolument ce qu’il voulait. Il savait que j’aimais cette autonomie et que je travaillais aussi avec lui pour qu’il me surprenne.
Sur le dernier film, Marguerite et Julien, je venais de me séparer du père de mes enfants et pour des questions d’organisation, j’ai vécu avec Olivier et Pol Fourmois, son fidèle électro, pendant trois semaines à Crécy-la-Chapelle. Ils étaient très protecteurs, tous les deux. Nous mangions des soupes le soir et parlions de la vie, de leurs parcours, de leur famille. C’était un tournage très épuisant et Olivier était étonnamment calme comme toujours, très rassurant.
De lui je veux me souvenir de son sourire devant les directeurs de prod’ ou les réalisateurs ; il avait en lui beaucoup d’humour et de distance par rapport à tout ça. Et une âme d’enfant quand il s’agissait de choisir les projecteurs, de les équiper, d’inventer des systèmes, d’être au plus près de la compréhension du film et de ce qu’il nécessitait ou encore de tenir un réflo ou de percher de la lumière et de vivre au rythme du plan.
Je venais de lui parler du prochain film de mon frère car le retrouver à chaque film était une grande motivation, la promesse d’un plaisir intense et partagé.
Il manquera au film. Il me manquera. Et je pense sincèrement qu’il manquera au cinéma. Un cinéma qui reste vivant grâce à des hommes comme Olivier, doux, malin, curieux, présent.
Serge Bozon
Pour un cinéaste techniquement inculte, comme moi, le travail d’un chef électro est aussi opaque que la lumière de Tip-Top est (en intérieurs jour) claire sinon blanche. C’est Olivier qui, pendant des essais lumière dans une chambre d’hôtel au Luxembourg, alors qu’il regardait par hasard quelques images de 2000 Maniacs (H. Gordon Lewis) me servant de modèle plastique, parla à Céline des Fresnel à cru.
Puisque je ne peux comprendre, à cette exception spectaculairement inaugurale près, son travail, je ne parlerai que de ce que tout le monde pouvait voir, et donc comprendre : sa douceur masculine, son calme constant, son amusement caché, son attention globale. Sur le tournage du dernier Donzelli, il me présenta sa fille, qui souhaitait voir son père au travail. Alors que je tourne bientôt un nouveau film, j’ai comme elle envie de revoir Olivier au travail. Mais on fait aussi les films avec ce qui manque – cruellement. Devant la caméra et derrière la caméra.
Thierry Jault
Avec Olivier nous avons travaillé sur de nombreux projets et cette collaboration m’a permis de découvrir, puis de connaître, une très belle personne.
Olivier accompagnait les films de façon élégante, toujours attentionnée, présente, avec le souci constant d’améliorer ce que nous faisions.
Son grand sens de la lumière m’a beaucoup aidé ainsi que ses conseils, judicieux et inventifs, toujours dans le sens des films.
C’était un ami, et un magnifique collaborateur.
Il va me manquer.
Yves Cape
Olivier, c’était avant tout une présence ; calme, souriante, attentive. C’était aussi un avis, artistique avant toute chose. C’était aussi un magnifique technicien, extrêmement inventif, qui avait compris comment se mettre au service du film et de la mise en scène. Olivier c’était aussi un ami, il va beaucoup me manquer.
Stéphane Thiry
Mi-80, j’étais dans un garage en train de charger un camion pour un spectacle quand j’ai vu arriver Olivier, conseillé par un ami commun pour intégrer notre équipe. L’amitié est née immédiatement et n’a fait que se consolider pendant plus de 30 ans. Beaucoup d’entre vous connaissent notre parcours, mais je tenais à vous écrire ces quelques lignes pour vous dire combien cette rencontre a bouleversé ma vie.
J’avais enfin croisé la route de quelqu’un avec qui je voulais construire quelque chose, un ami que je n’imaginais plus jamais quitter. La suite, c’est notre entrée dans le monde magique du cinéma, on était tellement heureux !
Et cette admiration que j’avais pour lui… Ce sentiment d’être pour toujours en sécurité, qu’il ne pourra jamais plus rien m’ arriver de sombre. On a vite tout partagé. Nos joies. Nos peines. Nos doutes. Nos enthousiasmes. Nos projets.
Olivier réparait camions, matériel de toute sorte, frigos, projos. C’est aussi devenu mon SOS ordinateur plus tard. Et mon SOS de cœur aussi.
Toujours tellement calme et serein devant les problèmes a priori insolubles. Tout mon contraire à l’époque (et encore un peu maintenant…).
Il était un peu plus jeune mais je le considérais comme mon grand-frère, il m’apaisait, me rassurait, me rendait sûr de moi et plus confiant dans le futur qui se dessinait, futur tellement plus beau maintenant que j’étais à ses côtés. Puis on a construit ensemble. Moi le fonceur, lui le rationnel. Et ça a marché. Et ça aurait pu marcher si longtemps encore...
Depuis quelques jours, c’est la fin des « Allo Olive » pour un oui ou pour un non ou n’importe quoi, pour lui demander ce qu’il pense d’un projet X ou Y, l’appeler à l’aide pour des raisons personnelles, ou juste simplement former son numéro pour entendre sa voix, comme dans un vieux couple (on nous l’a assez répété !).
Voilà. Mon ami, notre ami, n’est plus là. A moi de me débrouiller tout seul à présent, alors que ma peine n’est rien par rapport à la douleur de son épouse Conchy et ses deux filles Roxanne et Cilia.
Chers ami(e)s, je pense ne pas avoir le courage de prendre la parole jeudi, donc ces quelques lignes pour vous dire que je dois à Olivier d’être ce que je suis aujourd’hui. Cet homme exceptionnel, j’ai eu l’immense chance de l’avoir eu comme ami pendant toute ma vie d’adulte. J’ai grandi et mûri grâce à lui.
Je continuerai, comme avant, à agir en fonction de ce qu’il m’aurait conseillé, parce qu’il sera pour toujours à mes côtés. A nos côtés…
Ci-dessous, un court extrait des rushes du film Marguerite & Julien, de Valérie Donzelli, dans lequel Olivier fait une apparition.
https://vimeo.com/149565099