Où Pascale Marin, AFC, parle des options visuelles de "Maria Schneider, 1983", César du Meilleur court métrage documentaire 2023

Contre-Champ AFC n°342

Basé sur une interview filmée de Maria Schneider pour l’émission "Cinéma, Cinémas", Maria Schneider, 1983 a remporté le César du Meilleur court métrage documentaire. Trois actrices rejouent l’interview originale, dans un décor et un dispositif de mise en scène minutieusement reconstitués, ce qui confère aux propos de l’actrice une nouvelle actualité. Dans un entretien mené par le directeur de la photo Pascal Montjovent, la réalisatrice Élisabeth Subrin, la cheffe opératrice Pascale Marin, AFC, et l’étalonneuse Mathilde Delacroix évoquent les options visuelles du film.

Le film original (avec la vraie Maria Schneider) n’apparaît pas dans ce montage, ce qui prive le spectateur de la référence. L’aviez-vous tout de même envisagé ?

Elisabeth Subrin : Non, je n’y ai jamais songé car cela n’est point indispensable à l’appréciation de l’œuvre par le public. Intégrer la Maria d’origine serait superflu et détournerait du propos du film. Ce dernier porte sur l’héritage de Maria, sur la résonance de ses paroles dans les expériences et les traumatismes d’autres femmes. D’ailleurs, qu’est-ce qui caractérise l’authenticité ?

Quel rapport entre cette forme (témoignages en miroir, reflets, faux-semblants, rapport entre l’original et la copie, etc.) avec le fond, à savoir ce mépris de longue date envers les actrices, la transformation des actrices en potiches/objets/jouets au cinéma ?

Pascale Marin : A force de regarder l’interview originale, plus que de m’interroger sur le rapport entre la forme et le fond je me suis connectée à la personne interviewée. Et le manque d’empathie qui confine à la cruauté de l’intervieweuse m’a heurtée, comment aurais-je réagi à la place du cadreur ?
On sent la nervosité de Maria Schneider, sa façon de se dérober en allumant cigarette sur cigarette. Si elle pouvait, elle disparaitrait derrière la fumée.
Et la détresse de ce regard caméra quand elle les supplie de ne pas mettre d’images du Dernier tango à Paris pour illustrer l’entretien, elle interpelle directement la personne qui filme : « Encore une fois vous aller me regarder me débattre sans rien faire ? » Elle ne prononce pas ces mots, mais moi, je les entends.

Le film repose sur l’imitation la plus fidèle possible de l’interview originale. Quelles furent les étapes de cette reconstitution (les stratégies déco, maquillage, lumière, support, étalo, etc.) ?

Pascale Marin : Ce fut en effet un travail de collaboration très étroite en termes de décors, de lumière, de support et de caméra.
Pour ce qui est de la décoration, nous avons pris plusieurs décisions qui déterminent la vraisemblance du dispositif, comme le choix du nombre de feuilles à utiliser, le recours à un ou plusieurs miroirs pour recréer l’espace en reflet, ainsi que des essais filmés de couleurs de peinture pour obtenir l’effet escompté.

Manal Issa dans "Maria Schneider, 1983" - Manifest Pictures
Manal Issa dans "Maria Schneider, 1983"
Manifest Pictures

Pour la lumière, nous avons cherché à être cohérents avec le dispositif d’interview original, tout en devant réinventer l’espace en reflet. Cela a nécessité un travail minutieux pour trouver la bonne lumière et les bons réglages.

En ce qui concerne le support, je n’avais aucune certitude quant à la marque de pellicule utilisée dans l’interview originale (Kodak, Fuji, Agfa…), mais une pellicule couleur "haute sensibilité" des années 1980, telle qu’une 250T type 7293 ou 8528, semblait cohérente avec l’époque et le contexte, un intérieur café en fin de journée. En 2022 mes options étaient plus réduites, j’ai donc opté pour la Kodak 500T 7219, en pensant que sa granularité se rapprocherait le plus possible d’une pellicule du passé, moins sensible mais plus ancienne. [...]

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