Où l’on crut voir La lettre de l’AFC déraper dans un virage
par Jean-Noël FerragutLa réponse au problème posé dans un entrefilet de la revue de presse de la dernière Lettre ne saurait attendre ni la sortie du film Michel Vaillant, ni même son étalonnage numérique effectué ces jours-ci au laboratoire.
Je me dois de vous la livrer sur le champ, " brut de pomme ", laconique, grave : Peut-on sourire de tout ?
Bonne question me direz-vous, merci de l’avoir posée.
La somme de travail qu’effectue un directeur de la photographie est une chose. La lettre de l’AFC, dont l’une des tâches avouées, rappelons-le, est, numéro après numéro, de présenter sous son meilleur visage le travail de ses membres (à tout seigneur, tout honneur), en est une autre. Et ces deux choses-là sont suffisamment sérieuses pour qu’à aucun moment le premier, le travail du DP, ne devienne le sujet et la deuxième, La lettre, le support d’une quelconque matière à se gausser. C’est pourtant bien ce qui s’est produit en filigrane le mois dernier, c’est en tout cas ce dont a légèrement pâti son principal intéressé. La rédaction de La lettre prise en flagrant délit de dérapage incontrôlé ?
Rappelez-vous, une voiture de course tournant à la vitesse grand V, de multiples caméras n’ayant rien à lui envier, des lumières de tirages qu’il fallait deviner... Ce qui ne devait être, à mes yeux, qu’un inoffensif clin d’œil à nos lointains problèmes d’arithmétique (nous étions tous encore jeunes et beaux), à leurs robinets qui coulent, leurs bassins qui fuient a été ressenti a contrario comme un trait de moquerie par notre ami Michel Abramowicz lorsqu’il eut La lettre sous les yeux.
Passé le manque de tact que l’on pouvait leur reprocher, ces quelques lignes pointent du doigt un cruel dilemme devant lequel se trouvent parfois bon nombre d’entre nous.
Dans quels termes en effet évoquer dans La lettre ou ailleurs - mieux encore, faut-il, oui ou non, les projeter à nos pairs - des films sur lesquels nous avons travaillé corps et âme quand les sujets, les talents ou les budgets n’ont pas toujours l’originalité, la grandeur ou l’importance que nous étions en mesure d’espérer ?
Trop souvent en effet, plutôt que de parler, dans ces pages ou dans d’autres, de plans dans lesquels le cinéma tel que nous aimons le voir et a fortiori le pratiquer, avec sa part de forte émotion, de chaleureuse humanité, et pourquoi pas, ce qui serait la moindre des choses, de réelle maîtrise, trouverait toute sa place, nous en sommes réduits à relater de bien maigres anecdotes, à faire l’inventaire de nouveaux procédés ou matériels mis à notre disposition, parfois nécessaires mais pas toujours indispensables.
De sorte que, si nous n’y prenions garde, nous aurions un léger penchant à nous laisser aspirer par cette tendance, très en vogue de nos jours, de privilégier la forme au détriment du fonds. Etudiants de tous les horizons, si vous nous entendez...
En relisant ces dernières lignes, il me vient à l’esprit une remarque que me faisait récemment en aparté Jimmy Glasberg à propos du Micro Salon de l’AFC, avec juste raison tant elle me semble pertinente.
Dans une belle envolée dont il détient seul le secret des images teintées d’accent méridional que ses mots véhiculent, Jimmy me fit part de son souhait qu’à l’avenir notre Salon prenne de la hauteur de vue et, si l’on excepte bien sûr les fructueuses rencontres qu’il suscite entre nos membres associés et ceux qui nous rendent visite, qu’il devienne autre chose qu’un simple étalage de rayons d’un magasin de " quincaillerie ".
Chers amis associés, ne voyez dans cette figure de style exprimée sans précaution l’ombre de la moindre dépréciation des efforts que vous fournissez pour que notre Salon soit un parfait succès. Bien au contraire, la perche tendue amicalement par Jimmy doit nous faire réagir pour que le Micro Salon prenne sa vraie dimension, pas nécessairement par la taille, mais par la vitesse supérieure qu’il pourrait faire prendre aux activités de l’AFC.
Avis aux amateurs, aux chercheurs d’idées à creuser !
En attendant les vôtres, je vous en soumets une, de petite idée sur la question.
Bref retour en arrière. Peu de temps après que furent dispersées les cendres du défunt Festival de l’image de film de Chalon-sur-Saône, comme tant d’autres, nos amis les cadreurs de l’AFCP (actuelle AFCF) par exemple, nous nous étions posé la question de savoir de quelle manière on pouvait voir revivre chez nous ce genre d’événement.
Des festivals consacrés à l’image, il en existe à travers l’Europe, Camerimage, Madridimagen, Bitola (Manaki Brothers). L’AFC ne se sentait à l’époque ni l’énergie, ni la carrure d’endosser les moindres frusques d’organisatrice d’une telle manifestation.
En revanche, nous avions à l’époque émis l’idée de projeter, lors d’un week-end et en dehors de tout esprit de compétition, des films que nous aurions choisis pour avoir en apprécié la qualité du travail de l’image à l’écran. A Paris ? A Lyon ?
C’est dans cet esprit que Pierre-William Glenn avait lancé l’idée et que furent organisés les " Inventeurs de Lumière ". Aucune suite ne fut donnée à ce qui fut une réussite.
Alors pourquoi ne pas imaginer qu’aujourd’hui, dans la synergie et l’enthousiasme d’un prochain Micro Salon, nous continuions cette journée par des projections ouvertes au public, au Cinéma des Cinéastes par exemple, de films " d’image ", en alternance dans une ou deux salles afin qu’ils puissent être vus par le plus grand nombre.
Des films, il en existe, si l’on songe à Edi dont nous parlait Pierre Lhomme dans La lettre de janvier (photographie de Krzysztof Ptak, premier prix ex æquo partagé avec Conrad Hall à Camerimage) ou à Uzak (Lointain), film turc primé tout dernièrement à Cannes (réalisé et photographié par Nuri Bilge Ceylan).
Ce qu’avait esquissé, à une plus petite échelle, feu le festival de Chalon (projeter des films et exposer parallèlement tout ce qui permet de les photographier, ou vice-versa), ne serait-ce pas, histoire de les réunir en toute intelligence, le moins que l’on puisse attendre de l’AFC ? A suivre ?
Post-scriptum : Où il serait question, ici aussi, du festival de Cannes.
Ah ! Cannes ! Se lassera-t-on jamais de sa perpétuelle agitation ? Cannes !
Ses rendez-vous matinaux minutés au chrono, ses retrouvailles à l’heure de l’apéro, ses déjeuners avalés pieds dans l’eau, ses folles soirées passées à bord de luxueux bateaux, ses films magistraux aux cadres rigoureux exécutés avec brio et lumières peaufinées au thermo... Même teinté cette année du vague à l’âme ambiant, Cannes sera toujours Cannes.
Et cette fois-ci encore, arpentant activement, ô combien !, la Croisette sous les couleurs de l’AFC, de charmants spécimens s’y sont tant et si bien pavanés...
Michel, Jimmy, amis associés, lecteurs assidus, aux côtés de Pierre Dac et avec ce recul que seul l’humour permet, prenons ensemble le parti d’en sourire ! Sans arrière-pensée, si ce n’est celle de notre considération mutuelle...
Enfin, sachant que les coulpes les plus battues ne sont pas les plus contentes, si je dois, pour conclure, battre la mienne, je le fais bien volontiers, humblement, mais pas une lumière, pas un lux, que dis-je, pas un photon de plus que de raison !