Où l’on parle du travail de restauration du “Joli mai", de Chris Marker et Pierre Lhomme

by Pierre Lhomme, MPC Paris

A l’occasion de la programmation à Cannes Classics du Joli mai, de Chris Marker et Pierre Lhomme, photographié par Pierre Lhomme, AFC, nous avons demandé à François-Régis Viaud, qui en a supervisé avec Pierre la restauration, de nous préciser le travail des équipes de Mikros image effectué sur le film.

Une projection du Joli mai de Chris Marker et Pierre Lhomme est programmée en Sélection officielle à Cannes Classics dans une version restaurée, dans quel état se trouvaient les éléments qui vous ont servi de base au travail de restauration ?

François-Régis Viaud : Lors de la préparation du dossier pour la restauration et la demande d’aide auprès du CNC, nous n’avions comme référence que les rapports de vérification fournis par les AFF, et un élément qui était un gonflage 35 mm servant de négatif, fabriqué à partir de la restauration effectuée en 2009, dans lequel deux coupes avaient été effectuées à la demande de Chris Marker, un plan dans la première partie et une suite de plans dans la deuxième partie, la fameuse coupe des dix-sept minutes.

Après avoir effectué des tests de scan de ces éléments 35 mm, il est apparu une très importante différence de qualité et de définition entre les scènes tournées en 35 mm et la majeure partie tournée en 16 mm inversible. Une projection au Max Linder des premiers tests en DCP nous a conforté dans la volonté de chercher d’autres sources. Pour rendre cohérent et homogène la qualité générale de l’image, nous avons décidé d’essayer de repartir des sources de meilleure qualité avec une meilleure définition. Nous avons donc retrouvé, toujours aux AFF, les positifs inversibles originaux en 16 mm non montés. Ces nouveaux éléments se sont avérés avoir une définition de grande qualité et ainsi, nous avons pu retrouver l’image originale non cadrée et non montée.

Quelles ont été, pour Mikros image, les principales étapes de ce travail ?

F.-R. Viaud : Nous avons, donc, scanné l’intégralité des images. L’état des éléments 16 mm et la fragilité des collures ne nous permettaient pas de faire un essuyage sans prendre le risque d’endommager le support.
Les éléments 16 mm originaux qui correspondaient à un premier montage de rushes, nous ont obligé, en plus des étapes de restauration classiques, à refaire en numérique une conformation complète du film conforme à la version 2009, remontée par Chris Marker. Nous avons refait, sur Avid, le montage et le cadrage intégral du film.

La restauration numérique de l’image a enfin pu commencer. Nous avons appliqué un premier réglage de stabilisation très léger, nous avons ensuite corrigé les déformations et les instabilités dues aux collures. Plus de 300 heures ont été nécessaires pour gommer les principales poussières. Certains choix de restauration ont été guidés par la volonté de laisser au temps son empreinte sur ce film documentaire, par exemple, la rayure des scènes de la bourse ou encore la rayure centrale et les griffures de la scène des amoureux du pont de Neuilly.
L’étalonnage a été fait en projection sur Lustre. Ce travail très minutieux a permis de redonner une lumière magnifique sur les plans de Paris tournés en 35 mm en équilibrant parfaitement avec les plans tournés en inversible 16 mm souvent plus sombres.

Pour la restauration du son, nous disposions de sources disparates, 16 mm optique, 35 mm optique, son magnétique issus de support vidéo 1 pouce. Nous avons découvert que la version internationale en 35 magnétique avait été détruite pour cause de vinaigre. Nous avons numérisé l’ensemble des éléments à notre disposition. Nous avons reçu au cours de la restauration la copie numérique de la bande originale du film contenant quatre titres originaux de bonne qualité, dont la chanson d’Yves Montand.
Une des caractéristique première de ce documentaire est la prise de son synchronisé avec la caméra, qui, à l’époque, en est à ses débuts. Les sons directs qui composent une très grande majorité du film sont la plupart du temps mélangés au brouhaha ambiant. Dans les pièces exigües, le bruit de la caméra est omniprésent. Les dialogues étaient difficilement audibles et leur compréhension, très difficile. Il a, donc, fallu remonter l’ensemble des questions et des réponses quand cela était possible en atténuant le bruit de fond permanent.
Une fois ce travail terminé, nous avons remixé le son définitif en incorporant la musique originale de la chanson qui marque la séparation entre les deux parties. La musique du générique de fin " qui n’a peut-être jamais existé ", n’a malheureusement pas été retrouvée, nous avons dû reprendre le son original issu de la copie magnétique.

Comment avez-vous travaillé avec Pierre Lhomme et, le temps s’étant écoulé, a-t-il été amené à corriger certains des choix qu’il avait effectués à l’époque de la sortie du film ?

F.-R. Viaud : La collaboration avec Pierre a été magique, son implication totale, son énergie a galvanisé ce projet. Pierre n’avait, pour des raisons de santé à l’époque du montage, jamais vu ses images originales tournée en 16. Nous avons, ainsi, redécouvert les cadres larges originaux, ainsi qu’une douzaine de plans non montés qui feront, je l’espère, l’objet d’une prochaine diffusion (par exemple bonus DVD). L’image et le son ont bénéficié de ses conseils, de son écoute, de sa connaissance et de sa maîtrise des outils de restauration. Nous avons tous suivi Pierre dans Paris au mois de Mai 1962 avec sa caméra, une expérience inoubliable…

François-Régis Viaud est Responsable Développement et Suivi de Fabrication
Patrimoine, Restauration & Masterisation à Mikros image.

(Propos recueillis par courriel par Jean-Noël Ferragut, AFC)

  • Lire ou relire un article, paru dans le n° 15 de la revue Jeune cinéma, dans lequel Chris Marker apporte ses réflexions sur ses méthodes de travail à propos du Joli mai.