Où l’on s’interroge, à Camerimage, sur la place du DIT auprès du directeur de la photographie

Par Brice Barbier, ENS Louis-Lumière, Ciné 2014

La Lettre AFC n°249

En premier lieu, je tiens à remercier les membres de l’Affect – Aaton-Digital, K 5600 Lighting, Thales Angénieux et Transvideo – ainsi que leurs représentants qui nous ont permis, étudiants sortants de La fémis et de l’ENS Louis-Lumière, de les accompagner à Bydgoszcz lors de l’édition 2014 de Camerimage. Un autre merci s’envole vers l’AFC qui offre une tribune à nos articles.

Se déroulant fin novembre, le festival Camerimage concentre les directeurs de la photographie venant des quatre coins de la planète dans cette petite ville de Pologne. Partagés entre les séances des films en compétition, les tables rondes, les workshops organisés par les constructeurs et les rencontres, les étudiants en cinématographie de toute l’Europe, nous compris, ne savent plus où donner de la tête.
Parmi les nombreux aspects de la photographie de cinéma sont à la fête, un phénomène curieux a attiré mon attention : plusieurs chefs opérateurs sont venus accompagnés de leur DIT. Ces derniers ont été régulièrement sollicités, soit en tant qu’invités aux diverses tables rondes, soit mis en valeur dans le public par leur directeur de la photographie.
Les deux cas de figure se sont présentés pour au moins deux d’entre eux : Peter Marsden, DIT de Dick Pope pour Mr. Turner (Film4, réalisé par Mike Leigh), et Michael Kowalczyk, DIT de Matthew Libatique. Leur présence questionne : dans quelle mesure le DIT est-il devenu un atout de création ? Quelle est sa nouvelle place : est-il devenu un acteur primordial de la photographie contemporaine ?

J’ai eu la chance d’assister à plusieurs tables rondes – notamment celle de Codex avec Michael Seresin, BSC, une autre organisée par K 5600 Lighting avec Dick Pope, BSC, Matthew Libatique, ASC, et Peter Marsden, ou encore celle de Technicolor avec à nouveau Matthew Libatique, Steven Poster, ASC, Ed Lachman, ASC, et Nancy Schreiber, ASC, et à quelques présentation de constructeurs, en particulier Colorfront, et Panasonic à propos de la nouvelle Varicam. Ce qui suit reprend quelques questionnements instillés pendant ces rencontres, de manière non-exhaustive.

À propos de son travail sur La Planète des singes (Dawn of the Planet of the Apes), réalisé par Matt Reeves (XXth Century Fox), Michael Seresin, BSC, concentre ses outils de directeur de la photographie en quatre pôles : la lumière, le choix des optiques, la composition du cadre et les mouvement de caméra. Par conséquent, il affirme chercher se distinguer de l’effort technique car, si la technique accompagne le développement artistique du film, elle ne doit pas le contraindre de son accomplissement.Pour lui, le DIT est un " outil ". Il lui offre la possibilité de rester concentré sur le challenge créatif une fois libéré de la charge technique.
Pour sa part, Matthew Libatique qualifie à plusieurs reprises son DIT de traducteur : « Ils parlent la même langue [que les techniciens de la postproduction]. Je ne parle pas cette langue. » Il devient un pivot qui permet la communication du tournage vers la postproduction.

Le directeur de la photographie de Darren Aronofsky travaille sur les ombres, comme les hautes lumières sont protégées par l’étendue utile de sa caméra. Outre la gestion du " monitoring on set ", il demande conseil à son DIT, qui contrôle le flux grâce à un oscilloscope, pour gérer son exposition numérique. Le DIT a pour mission de donner le maximum d’informations pour le travail de l’image en postproduction (limiter le bruit dans les basses lumières et protéger le " white-clipping "). Il est le garant d’une exposition optimale.
Interrogé sur l’étendue utile des D-caméras contemporaines, Matthew Libatique répond que c’est un outil fantastique mais qu’il passe son temps à réduire la dynamique en postproduction. Afin de retrouver une vraisemblance du contraste et de la gradation, il lui est nécessaire de limiter cette dynamique. Selon lui, les caméras ont atteint une latitude suffisante pour le cinéma et l’enjeu de demain n’est plus son expansion mais l’augmentation de la quantification, permettant davantage de subtilité dans la gestion colorimétrique. Cette apostrophe lancée aux constructeurs de caméra est encouragée par Nancy Schreiber et Ed Lachman.

Afin de nuancer, Steven Poster évoque une expérience de tournage léger avec une caméra Canon C500 dont le signal peut être amplifié à des sensibilités prodigieuses tels que 25 600 ISO ou plus encore. Le bruit obtenu sur une image 4K ne lui paraît pas rédhibitoire et il lui trouve, d’une certaine manière, une qualité plastique

Parallèlement, Panasonic présente sa nouvelle Varicam, qui, à défaut de proposer une variation de cadence, permet d’enregistrer des images à une sensibilité nominale équivalente à 5 000 ISO. Les images de nuit présentées ne sont dégradées par aucun bruit et l’opérateur affirme qu’il a été contraint de placer un filtre de densité neutre pour obtenir une exposition optimale.
L’opérateur détermine une sensibilité de 800 ou de 5 000 ISO. D’après son choix, depuis le même photosite, le signal passe par un circuit différent. La Varicam est capable d’enregistrer simultanément sur plusieurs supports, permettant éventuellement de créer les proxies de montage en parallèle de l’enregistrement des rushes RAW. Cependant, la quantification maximale sera, dans les versions futures du " firmware ", de 12 bits
Le constructeur japonais annonce par ailleurs une étendue utile de 14 E.I. (quelle que soit la sensibilité choisie), une colorimétrie contrôlée à distance et incluses dans les médias via une connexion WiFi. Grâce à cette implémentation, les corrections de gradation et de couleur pourront ainsi êtres garanties tout au long de la postproduction. Le directeur de la photographie pourra construire son image sur le plateau sans en être dépossédé, – différents opérateurs ont employé ce terme – en postproduction.

Selon Matthew Libatique, profiter d’un DIT sur le plateau, c’est se donner les moyens de « restaurer la magie du cinéma sur le plateau ». Malgré la multiplication des écrans – l’image est jugée sur iPad, sur des écrans Oled ou sur le MacBook du réalisateur –, le chef opérateur est à nouveau maître de l’image, au service de la mise en scène.
Le monitoring est contrôlé et le " look " n’est plus le résultat d’une simple application d’une LUT automatique, mais le résultat de la collaboration artistique d’un directeur de la photographie avec le DIT. C’est le cas pour Mr. Turner (réalisé par Mike Leigh). Son directeur de la photographie, Dick Pope, BSC, a travaillé avec Peter Marsden (DIT sur Skyfall, Total Recall, Captain America, notamment) au préalable du tournage sur deux " looks " qu’ils ont implémentés dans l’Alexa. Ces " looks " ont, d’une part, servi de base pour le travail de la lumière sur le plateau et ont été appliqués aux proxies de montage et aux rushes. [L’équipe du tournage a bénéficié d’une projection de rushes les soirs de tournage, renouant ainsi à la tradition de la projection de rushes 35 mm (selon les propos recueillis par Codex, Painting the Light, 17-9-2014)]

La problématique des proxies se pose : comment offrir au montage des images proches des paramètres esthétiques désirés par le directeur de la photographie ? L’affect des réalisateurs vis-à-vis des images des proxies est indéniable et une partie des chefs opérateurs se plaignent de projets pour lesquels l’aspect final n’est pas celui choisi lors du tournage, mais ressemble bien davantage à l’image fade et logarithmique des rushes RAW. C’est ici une réponse que peut apporter le DIT.
Suivant cette logique, Matthew Libatique se questionne quant à la limite de son travail. Où s’arrête son contrôle en tant que directeur de la photographie ? Auparavant, la copie master était l’aboutissement du travail du chef opérateur. Désormais, le DCDM est l’une des copies finales.
Bien que le phénomène ne soit pas nouveau, les directeurs de la photographie s’inquiètent de la multiplication des formats de projection, des demandes des productions de composer pour le 2,40:1 et le 16/9e simultanément, entre autres. « Si les gens regardent sur tous les écrans possibles, quel est le standard ? L’écran de cinéma est-il toujours notre standard ? », s’interroge Matthew Libatique.

Dans une table ronde menée par Ian Marcks, à laquelle étaient aussi présents Ed Lachman, Matthew Libatique ainsi que Steven Poster, Nancy Schreiber, ASC, déplore le " reframing ". La possibilité d’enregistrer une résolution supérieure à la résolution de sortie permet le recadrage lors de la postproduction.
Si les opérateurs s’en offusquent, sa pratique n’en est pas moins courante, en particulier dans les productions télévisuelles. Nancy Schreiber évoque la dernière collaboration entre Jeff Cronenweth et David Fincher : enregistrant la totalité du capteur 6K de la RED Epic Dragon, le réalisateur de Gone Girl recadre l’ensemble du film au montage.

La proportion entre le travail sur le plateau et la postproduction a évolué, bien au delà du montage virtuel et de l’étalonnage numérique. Un ensemble de choix créatifs opérés auparavant sur le plateau trouve maintenant leur place en postproduction, ce qui réduit le pouvoir sur l’image du directeur de la photographie.
Les directions artistiques telles que le cadre et la colorimétrie, qui concernent directement la photographie, sont transférées en postproduction. En outre, de plus en plus de réalisateurs assistent à l’intégralité de l’étalonnage, donnant des indications différentes à celles du chef opérateur qui ne peuvent pas toujours y participer.

Avec ce déplacement des choix créatifs – que l’on y soit favorable ou non –, la place du chef opérateur vient aussi à se redéfinir, et c’est probablement l’une des raisons du développement du poste de DIT. Les outils de postproduction offrent de plus en plus d’alternatives de développement des médias Raw (Codex Vault, Colorfront, DaVinci Resolve, Red Cine X, Pomfort ClipHouse, Scratch…). Dès lors que le choix d’une débayerisation ou d’une autre influence la texture de l’image développée, elle concerne le directeur de la photographie et par conséquent, les choix de " workflow " font partis de la photographie. Les constructeurs traditionnels du cinéma commencent à développer des versions numériques de leurs produits analogiques tels que les filtres Tiffen, qui se déclinent désormais sous la forme numérique des Tiffen Dfx. De quoi nous interroger sur les prochaines numérisations ?