Paolo Sabouraud évoque son travail sur "Le Mime", court métrage de Charles Chabert

Diplômé de l’ENS Louis-Lumière en 2019, Paolo Sabouraud signe une image expressive et onirique pour Le Mime (The Mime’s Hat) dans sa version anglophone, réalisé par Charles Chabert, promotion 2020 de l’École. Court métrage de fiction presque expérimental, jouant sur la frontière entre imaginaire et réel, le film met en scène un mime à la recherche de son chapeau, dans un voyage à mi-chemin entre le rêve et le cauchemar. Le film sera présenté deux fois pendant le festival, dans la sélection "Film and Art School Etudes Panorama", et est à découvrir pendant toute la durée du festival dans son édition online. (MC)

Comment s’est passée la collaboration avec Charles, le réalisateur ?

Paolo Sabouraud : On se connaissait de l’école, il était dans la section en-dessous de la mienne. Il a vu des travaux que j’avais fait à l’école, et il s’est dit que ce serait bien qu’on travaille ensemble. On a discuté, on s’est bien entendus, on avait beaucoup de films qu’on appréciait tous les deux, on partageait pas mal de choses.
On a cherché des références, notamment dans un cinéma où la lumière est assez symboliste. Certains films de Fritz Lang dans sa période américaine, comme Le Secret derrière la porte ou La Nuit du chasseur, de Charles Laughton. Ce qui nous intéressait dans ces films, c’est le traitement très signifiant de la lumière, où il y a des ombres projetées d’éléments de décor qui sont invisibles. On était partis dans cette direction au début, et progressivement, dans la préparation du film, on a pris d’autres voies. On a décidé que le film partirait d’un décor très dépouillé, nu presque, et que petit à petit un univers allait se créer et qu’allait apparaître des choses qui soient concrètes.

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Je pense qu’il y a plein de lectures possibles du film, on peut y voir l’histoire de quelqu’un qui est sur scène et petit à petit ce qu’il imagine naît sous ses yeux, comme un univers mental qui se recrée et qui dit beaucoup de choses de ce personnage. Le plus gros du travail, ça a été avec Charles de relire plusieurs fois le scénario, pour bien comprendre les enjeux de chaque séquence, pour savoir quel en était la symbolique, qu’est-ce que ça signifiait, et ensuite en venir à des questions plus concrètes, de savoir ce qu’on verrait concrètement sur le plateau, car ce n’était pas expliqué clairement dans le scénario ce qu’on voyait à l’image ou ce qu’on entendait au son. Lui avait une idée très précise dans sa tête, c’est le genre de personne qui sait où il va et qui sait ce qu’il veut. Le gros du travail a été plutôt de la compréhension et de l’interprétation de ce qu’il voulait, plus qu’une recherche de quelque chose qui n’aurait pas encore été clair pour lui.

Charles était étudiant en image lui aussi, comment cela s’est-il passé ?

PS : Ça ne m’a pas gêné ou déstabilisé, au contraire, il y a tout un langage qu’on a en commun, ce qui facilite les choses. Il avait une idée assez précise du découpage, et c’était bien de pouvoir en discuter, avoir des choses très concrètes dans la préparation du film, et de pouvoir les remanier petit à petit.

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C’est un film qui est tourné entièrement en studio, comment s’est fait ce choix ?

PS : C’était évident, dès le départ on avait décidé de ça. C’est quelque chose qui a caractérisé le film. On voulait que ce soit très dépouillé, et avoir une maîtrise de chaque élément. On préférait l’idée de créer les choses et d’y mettre ce qu’on avait envie, plutôt que de retirer des choses dans un décor qui existe déjà.
Pour le décor de forêt, il y avait quelques arbres, mais c’était quand même assez minimaliste.
C’était intéressant de se demander comment faire vivre un décor, comment le rendre existant alors qu’il n’est pas immense. Bien sûr ça nous empêche de tourner dans certains axes, mais en même temps on n’a pas fait que des plans très serrés sur lui, on voit que ça vit, on donne de la profondeur. Ça a été un travail de collaboration avec la cheffe décoratrice, Louise Bleu. On a beaucoup discuté notamment de tous ces choix qui ont été de mouiller le décor, de mettre des particules dans l’air, d’avoir des éléments dans chaque plan, ce sont des discussions qu’on a eues en amont.

Jules-Angelo Bigarnet, à gauche, Charles Chabert, au centre, et Paolo Sabouraud, à droite - Photo Hugo Cayla
Jules-Angelo Bigarnet, à gauche, Charles Chabert, au centre, et Paolo Sabouraud, à droite
Photo Hugo Cayla

Le studio allège de beaucoup de contraintes : on n’est pas gênés par la météo, on a l’électricité sur le plateau, le matériel à portée de main, mais en même temps, c’est quelque chose de très dur à la lumière de partir d’un décor qui est quasiment nu. Il faut tout recréer, retrouver des directions lumineuses, sauf qu’il n’y a pas d’objet, pas d’entrée, rien, on part de nulle part. Avec Charles, on était partis sur cette lumière plutôt crue et un peu terne au départ, presque monochrome, pour aller progressivement dans quelque chose de plus contrasté, une lumière un peu dure mais très colorée, qui soit un extérieur nuit assez fantaisiste, représentant un univers mental particulier qui soit celui du personnage.
J’ai fait le choix d’éclairer la majorité des choses avec des HMI en direct, avec des diffusions. On en avait un peu parlé en amont avec Charles : le travail de Pascale Granel, sur les films de Bertrand Mandico, pour son travail de la lumière et des couleurs, nous a fortement influencés. Elle fait un très beau travail, notamment sur le prochain film de Mandico qui va sortir, After Blue.

Paolo Sabouraud, à gauche, et Nicolas Gallardo, le chef électricien, à droite - Photo Hugo Cayla
Paolo Sabouraud, à gauche, et Nicolas Gallardo, le chef électricien, à droite
Photo Hugo Cayla

Avec Charles, on avait le souci d’expérimenter des choses, d’essayer et de s’amuser un peu. Par exemple la scène aquatique, c’était un moment où on a pu prendre un peu de temps pour essayer des choses, revenir en arrière. On a filmé à travers un aquarium, devant un grand cadre qui était éclairé par derrière, donc le personnage était en ombres découpées.
Charles était présent à l’étalonnage, c’était un moment intéressant du film, mais on est restés proches de ce qu’on avait fait sur le plateau. On avait posé assez bas, l’idée c’était que l’arrière-plan du studio soit plongé dans la nuit dès le départ. On aurait pu baisser à l’étalonnage, mais j’avais fait des essais comparatifs, et je trouve que ce n’est pas du tout le même rendu.

Comment s’est passé le travail avec ce comédien mime ?

PS : Au départ, ses mouvements prenaient beaucoup de place et d’ampleur, il a fallu qu’on en discute tous les deux et qu’on trouve un équilibre pour qu’il ait une liberté des gestes, et en même temps que ce ne soit pas trop contraignant au niveau du cadre.
J’avais un peu peur de ce visage blanc, mais en même temps c’était très intéressant. Ça permettait d’aller vers quelque chose de presque monochrome, et de ne pas avoir de teintes de peau. C’était intéressant de travailler sans ces teintes qu’on voit d’habitude dans tous les films. On a fait des essais de maquillage, on ne voulait pas non plus quelque chose qui soit un blanc trop pétant, trop brillant et réfléchissant, donc ça n’a pas vraiment posé de soucis d’exposition. La lumière est différente bien-sûr, on la sent plus sur le visage du comédien.

Quels sont tes projets pour la suite ?

PS : J’ai fait un clip comme chef opérateur avec une Bolex, juste après le tournage de Charles, c’était vraiment bien. J’avais envie de m’acheter une caméra argentique, donc suite à ce clip je me suis acheté une Bolex. L’idée, c’est de filmer des images, que ce soit des moments de vie, des films, des clips, et à terme essayer aussi de développer moi-même les images.
Charles travaille actuellement sur plusieurs projets de scénarios. C’était une chouette collaboration et on espère qu’elle continuera.

(Propos recueillis par Margot Cavret pour l’AFC)