Paris Photo 2024 : images fixes et cinématographie
Par Jean-Louis Vialard, AFC, et François ReumontAvec près de 250 exposants venus du monde entier, cette 27e édition était bien sûr très attendue, d’autant plus qu’elle retrouvait pour la première fois le faste du Grand Palais à la suite de ses longs travaux de restauration (le lieu était fermé depuis 2021 et a réouvert à l’occasion des compétitions olympiques l’été dernier). Accueilli par un mur de 619 images immense ("People of the 20th Century" composition du photographe allemand, August Sander) - qui offre un portrait panoramique de l’Allemagne des années 1920 - le visiteur peut ensuite se perdre dans les allées du rez-de-chaussée (le secteur principal) ou ensuite parcourir les coursives à l’étage, comme par exemple la série "émergence" proposant une exploration de la scène artistique contemporaine dans ce qu’elle a de plus créatif (23 solo shows soutenus par de jeunes galeristes).
A noter également l’invité d’honneur de cette 27e édition, le cinéaste américain Jim Jarmusch qui proposait, à travers un parcours qu’il a choisi, une visite personnalisée de l’événement. Et l’occasion, pour le 100e anniversaire du mouvement surréaliste de redécouvrir quatre films de Man Ray récemment restaurés pour lesquels le cinéaste - et musicien - a composé la musique originale avec son groupe Sqürl.
Voici donc les photographes que Jean-Louis Vialard a décidé de sélectionner à l’occasion de son propre parcours. Il revient ci-dessous sur les raisons de ses choix. (FR)
John Kayser (1922 - 2007), photographe amateur américain basé en Californie - certainement la plus étonnante découverte de ce salon : photos brutes tel l’art brut. Durant plus de quarante ans mais jamais exposées de son vivant car à usage privé, John Kayser a mis en image un monde fantasmatique à travers des photos fascinantes et très perturbantes. Ce sont souvent des portraits de femmes proches du nu "bourgeois" mais dans des mises en scènes étranges et fétichistes, renforcées par des cadrages fragmentaires et une transgression assumée de références de l’art classique.
John Kayser - Galerie Christian Berst art brut

Larry Sultan (1946-2009), photographe américain, célèbre pour ses séries de photos telles "Swimmers" qui m’ont fortement inspiré en tournant dans une piscine ou "The Valley", backstage de tournages dans des villas de la middle class dans la San Fernando Valley, louées par l’industrie du porno. Et à Paris sont présentées des photos de la série "Picture from Home" (1982-1992) qui met en scène de riches Californiens dans leurs intérieurs avec une réflexion sur l’âge et le genre. Il photographie ses parents dans un tiraillement post-moderne entre représentation et réalité, artifice et réalisme. Contrairement à Tina Barney, exposée en ce moment au Jeu de Paume, qui présente des portraits pris en grand format de riches familles dans leurs intérieurs, ici pas de distanciation mais une approche plus fluide et empathique.
Larry Sultan - Pictures from Home
Todd Hido, photographe américain reconnu avec sa série "House Hunting" et ses photos nocturnes de différentes banlieues de la côte ouest, principalement des maisons semblant isolées avec en commun une fenêtre éclairée. Ces images atmosphériques et mystérieuses, sans présence humaine, ont inspiré de nombreux réalisateurs et DoP (Spike Jonze avec Her, en 2013 ou la série "Euphoria"). Ce fut ma référence principale pour filmer la maison à Dubaï dans le film de fantômes Dune Dreams.
Todd Hido - Galerie Les Filles du Calvaire
Bill Henson, photographe australien. Extraites de la série "Lux et Nox", ses photos nocturnes et spectrales fortement sous-exposées, avec du grain et des dérives chromatiques, représentent des adolescents dans des poses alanguies, en lévitation, sans repère spatial hormis des lumières de ville lointaines et floues. Ce fut une source d’inspiration revendiquée dans le film 17 filles pour une scène nocturne sur la plage où j’ai recréé la ligne d’horizon de la ville avec des guirlandes de LEDs tendues dans la profondeur.
Bill Henson - Torlano Galleries
Pete Turner (1934-2017), photographe américain reconnu comme un des premiers maîtres de la photographie en couleurs. Adepte du Kodachrome, ses images iconoclastes aux couleurs intenses et saturées s’éloignent parfois de tout réalisme telle cette silhouette de girafe sur fond de ciel rouge et sol violet ou ces extérieurs de ville nocturne baignés de bleu monochrome. Son travail souvent basé sur de l’abstraction colorée d’espaces urbains est très inspirant pour les DoP.
Pete Turner Photographs
Dolores Marat (1944), photographe française, autodidacte, elle commence comme laborantine puis tireuse pour Guy Bourdin, Helmut Newton ou Sarah Moon, entre autres ; puis devient l’unique photographe du magazine Votre Beauté. Parallèlement elle développe une œuvre personnelle hypnotique à la poésie brute qui nous happe telles des amorces d’histoire que nous devons imaginer, tel "L’Arbre qui marche" présenté ici. Souvent nocturnes et monochromes, ses photographies se distinguent par une texture veloutée et des couleurs douces grâce au procédé de tirage Fresson. J’aimerais tellement arriver à ce type de rendu sur un prochain film.

Juliette Agnel, photographe française (prix Niépce 2023), capte le rapport de l’humain à la puissance de la nature à travers des photos de paysages extrêmes, du Soudan au Groenland. Sont présentées ici des photographies nocturnes de sites archéologiques de la série "Taharqa et la nuit". Ses images mystérieuses nous entraînent dans les profondeurs émotionnelles des paysages et révèlent la présence de l’invisible dans notre monde. D’étranges pyramides émergent du relief désertique auréolées d’étoiles scintillantes et de la voie lactée dans un ciel nocturne digne d’un paysage lunaire sans atmosphère. Je suis très sensible à son travail qui rejoint celui de l’artiste Laurent Grasso avec qui je collabore régulièrement, à la recherche de l’invisible à travers des prises de vues en drone, infra-rouge ou LiDAR dans les lieux sacrés aborigènes en Australie, les forêts à Taïwan ou plus récemment les volcans du désert saoudien.
Juliette Agnel - Photography / Videos
