Parrain, pourquoi tu tousses ?

par Jean-Noël Ferragut

par Jean-Noël Ferragut La Lettre AFC n°138

C’était il y a moins d’un an. Une bonne nouvelle, et par ailleurs excellente initiative, nous parvient de l’AEVLL (Association des anciens élèves de Vaugirard - Louis-Lumière).
Quelques membres actifs de cette association, dont son président Gilles Flourens, instaurent, de conserve avec la direction de l’Ecole, un système de parrainage entre anciens et étudiants de deuxième année, du moins ceux qui, de part et d’autre, en ont manifesté l’envie.

Ainsi, du côté de l’AFC, quelques-uns d’entre nous ont tissé des liens particuliers avec certains de ces étudiants volontaires, ceux de la section cinéma prise de vues, évidemment. Cette expérience de parrainage n’en étant qu’à ses balbutiements, elle sera, nous n’en doutons pas, poursuivie, affinée, étoffée.
Entre parenthèses, il me vient en mémoire que, dans certaines écoles, tel qu’aux plus belles années du VGIK à Moscou, les parrains, appelés plus exactement là-bas " tuteurs ", suivent les étudiants pendant toute leur scolarité (durant cinq ans au VGIK). Comme nous le rappelait il y a quelques années de cela le directeur de la photo russe Vadim Youssof, responsable en son temps du département prise de vues, il n’était pas rare que le domicile des dits tuteurs ne servit bien souvent de lieu de réunion et de travail, jusqu’à une heure avancée de la nuit... Pour notre part, nous n’irons peut-être pas jusque-là... Courageux, certes, mais pas téméraire...

Mais revenons au fil de ce billet. L’avenir " parrainistique " semblerait tout tracé si, au fil des conversations - dont le sujet du moment est la meilleure direction à prendre pour un mémoire de fin d’études - nous n’étions amenés, mon filleul et moi, à parler... des études, tenez, justement.
Une mise au point, avant toute chose, pour information : un accord tacite sous-entend, à juste titre ou non il y aurait lieu d’en discuter, que le dit parrain ne doit en aucun cas intervenir dans la pédagogie de l’Ecole. Mais, que voulez-vous, c’est plus fort que soi ! Surtout lorsqu’il y va de la bonne santé de la formation de nos dignes successeurs.
Une ombre se profile à l’horizon de nos chères têtes blondes, risquant de l’obscurcir, à plus ou moins brève échéance. Et ce qui va suivre dépasse largement le strict cadre de l’enseignement, et risque de toucher l’essence d’une partie de nos métiers de l’image (pris au sens large, opérateur, cadreur, assistant, postproduction...).

La culture de l’image argentique, ou plus exactement l’apprentissage de la culture de l’image argentique, une fois impressionnée sur une pellicule négative, ne peut s’acquérir complètement que par la vision de celle-ci sur un film positif en projection. Comment, autrement que sur un écran de bonne taille, en analyser correctement les qualités ou les défauts (le grain, le contraste, les couleurs par exemple), la façon dont a été effectuée la mise au point lors des tournages, et j’en passe... Cette culture de l’image positive ne serait-t-elle pas en passe de devenir, dans les murs de Louis-Lumière, à plus ou moins long terme, qu’un assez lointain souvenir ? Les faits, pour ceux dont j’ai pris connaissance, parlent d’eux-mêmes, assez graves, me semble-t-il, pour soulever quelques questions et donner matière à réflexion.
Rénovée depuis quelques mois, la salle de vision de l’Ecole ne dispose plus, dans sa cabine de projection, de base fixe 16 mm (pas même, à la limite, une base mixte 16-35). Comment nos étudiants vont-ils faire pour voir, et/ou revoir, dans de bonnes conditions de fixité et de luminosité, les copies positives des films, ou des essais, tournés sur support 16 mm par des anciens élèves et archivés à l’Ecole, ou encore, par exemple, regarder les essais des nouvelles pellicules sorties dans ce format ?
En ce qui concerne les travaux de 1re année tournés en 16 mm (chaque élève tourne un TP " réalisation " de 122 mètres, une journée chacun, les essais de " keylight " et deux films de fiction de début de 2e année sont aussi tournés en 16, deux groupes, 12 minutes par film une fois monté), de tous ces négatifs, aucun positif ne serait tiré, les élèves ne voyant leurs images qu’en vidéo, sur support Beta d’après un télécinéma.
Les travaux de 2e année sont tournés en 35 mm (chaque élève tourne un TP " image " de 2 fois 122 mètres, une journée chacun). Les négatifs ne sont tirés sur positive 35 que pour la moitié de la classe, l’autre moitié ne voyant leurs images qu’en vidéo Beta d’après TC.
Comment, en 3e année, la moitié de la classe qui n’a vu aucune de ses images 35 sur positif va-t-elle s’en sortir lors de l’examen de prise de vues où elle sera jugée, par des professionnels, sur des images tournées et tirées en, et sur, 35 ?
Osons espérer que les raisons de ces choix sont uniquement économiques. L’excellence, et l’exigence, que l’on attend de la formation d’une école comme Louis-Lumière n’a-t-elle pas un prix ? S’il existe d’autres raisons, nous ne les connaissons pas, mais il est bon de manifester à travers ces lignes une vive inquiétude.
A l’heure où il devient de plus en plus difficile à chacun de résister au charme des sirènes du marché, de la gestion à court terme et de la technologie galopante, il serait dommage que les responsables de nos écoles, et leurs instances de tutelle, soient tentés d’oublier une part de la compréhension de notre travail, de nos métiers, et, comme d’autres, de ne plus être à l’écoute de nos besoins. Tentés, alors que le " numérique " - qui a bon dos - inciterait tout un chacun à le faire avant l’heure, de jeter le bébé avec l’eau du bain. Il serait surtout regrettable que nos étudiants en pâtissent, qu’ils fassent leurs premières armes d’assistant, d’opérateur, avec le léger handicap d’avoir été, durant leur scolarité et leur apprentissage, " zéro positif " !