Parution d’"Henri Alekan - Le Vécu et l’Imaginaire"

Un recueil de souvenirs présenté par José-Louis Bocquet et Philippe Pierre-Adolphe

AFC newsletter n°303

En avril 1987, Philippe Pierre-Adolphe et José-Louis Bocquet rencontraient Henri Alekan dans le cadre d’un reportage réalisé dans sa propriété en Bourgogne ; âgé de 78 ans, il était au sommet de sa carrière. Plus de dix ans après, en 1999, une première édition du Vécu et l’Imaginaire paraît aux éditions de La Sirène évoquant ses souvenirs. En octobre 2019, une réédition est publiée, complétée et enrichie de textes inédits bénéficiant d’une iconographie issue des archives d’Henri Alekan, déposées à la Cinémathèque française par son épouse Nada.

Le directeur de la photographie Henri Alekan est une légende. Des studios du muet aux dérives de Wenders, des audaces de Cocteau au minimalisme de New Order, de La Bataille du rail à Austerlitz en passant par La Belle et la Bête, d’Anna Karénine à La Belle Captive, Henri Alekan a éclairé beaucoup d’images inoubliables de ce siècle.
En près de 60 ans de carrière, Henri Alekan aura été le complice de Jean Renoir, Abel Gance, Marcel Carné, Jean-Pierre Melville, William Wyler, René Clément, Jules Dassin, Joseph Losey ou Amos Gitaï. Et le plus remarquable est sans doute la fraîcheur avec laquelle il a accueilli chaque nouveau projet.

Le Vécu et l’Imaginaire est une promenade sur les rives de l’histoire du cinéma. Fragments de vie, souvenirs sélectifs, ces récits apportent un éclairage particulier sur le hors champ des plateaux de cinéma.

Les images du livre sont principalement issues du fonds Henri et Nada Alekan détenu dans les collections de La Cinémathèque française.

Extrait
Tiré d’un texte de 1982, inédit placé dans les annexes, "Interview (fictive) d’Henri Alekan pour le festival de Venise, réflexions sur son métier".

Ce métier de directeur de la photographie est bien curieux, ou plutôt, les raisons qui imposent tel ou tel chef opérateur dans un film échappent souvent à toute logique. Bien sûr, nous savons qu’il y a des modes, des réputations, des ouï-dire, des chuchotements dans les bureaux de productions cinématographiques, qui font que tel chef est préféré à tel autre. Mais j’étais bien loin de me douter que pendant dix ans je serais à peu près exclu de la production. Ne disait-on pas que mon style était démodé, vieillot, que c’était du « cinéma de papa ». Des amis avaient beau dire : « Mais enfin, La Belle et la Bête de Cocteau, c’est un classique impérissable, et La Bataille du rail de Clément a été le premier néoréaliste français d’après-guerre dans un style documentaire qui a fait le tour du monde, et les films de Duvivier, Carné, Allégret, Wyler étaient singulièrement photographiés... »
« C’est exact », rétorquaient les directeurs de production, « mais ce sont des films en noir et blanc, bien anciens... c’est du passé. » Et ils ajoutaient avec finesse : « C’est dépassé !... »
« Alors », reprenaient mes défenseurs, « Alekan a tourné le premier film français en Scope couleurs, avec Augusto Genina, Frou-Frou, et plus de vingt films ensuite... »
« Mais », disaient alors les producteurs entêtés, « vous ne comprenez pas qu’il fait une lumière démodée, rétrograde, et qu’il utilise encore des arcs électriques, quand tous les jeunes chefs emploient des "floods" et des HMI. » Et, pour donner plus de force à leur propos, ils ajoutaient sur un ton confidentiel : « Il ne sait pas faire la lumière anglaise, celle qui tombe du plafond ! »
Bref, j’étais battu sans pouvoir me faire entendre. J’avais parfaitement compris ce qui était en cause, ce n’était pas seulement moi, mais toute une génération d’opérateurs formés par les pionniers du cinéma et par de grands maîtres tels Périnal, Sparkuhl, Kurt Courant, Pervell Marley, Rudy Mathé, Eugen Schüfftan.
Mais la raison majeure était, sans aucun doute, l’ignorance de ce métier par des administratifs et des producteurs qui auraient dû le connaître mieux que quiconque. Aussi je décidai d’ouvrir des cours du soir et d’écrire. Non pas des mémoires, des souvenirs et des anecdotes, mais un ouvrage qui tenterait de montrer aux amateurs comme aux professionnels ce qui fait la beauté de ce métier, avec toutes ses difficultés, ses multiples problèmes, ses exigences, sa rigueur. (Des lumières et des ombres NDLR)

Henri Alekan - Le Vécu et l’Imaginaire
Présentation/Introduction : José-Louis Bocquet, Philippe Pierre-Adolphe
Editions de La Table Ronde, octobre 2019 - 384 pages