Pascal Lagriffoul, AFC, "chef op’ de service" à l’Ecole Louis-Lumière

AFC newsletter n°289

Avant l’été, le directeur de la photographie Pascal Lagriffoul, AFC, a été choisi par la direction de l’ENS Louis-Lumière pour prendre les rênes de l’enseignement de l’image dans la spécialité Cinéma, succédant ainsi à Arthur Cloquet, AFC. Il livre ici ses pistes de réflexion sur la manière dont il envisage ses nouvelles attributions.

Un poste à pourvoir
J’avais déjà eu une expérience intéressante dans l’enseignement depuis quelques années, à l’École des Arts Décoratifs, sous la forme d’atelier sur l’image de cinéma dans la spécialité Scénographie. Quand j’ai appris qu’il y avait cette offre pour enseigner pendant un an à Louis-Lumière, je n’avais pas de projet très engagé dans les mois qui venaient et j’ai donc fait acte de candidature.
Une fois passé l’entretien et ma candidature choisie, le nouveau directeur, Vincent Lowy, m’a fait part avec enthousiasme du chantier qu’il veut mettre en œuvre, lié à la fois à l’évolution de l’école, à la nécessité de renouveler l’enseignement de nos métiers dans le cadre d’une proposition demandée par la tutelle... Une perspective plus vaste et plus excitante que celle qui m’avait conduit à postuler...

Je n’ai pas encore fait d’évaluation précise de l’école mais le fonctionnement actuel me semble un peu alourdi, j’ai envie de faire évoluer ça pour que l’école devienne plus agile en matière de production. A terme, il faut faire plus de films...
J’y ai passé les mois de mai et juin pour être dans les murs, rencontrer et me faire connaître, faire un état des lieux, quelques essais sur le matériel avec Sylvie Carcédo, qui est déjà en poste : caméras, optiques, workflow, projection…
Mon souhait est dorénavant de suivre les élèves durant leurs trois années pour voir comment ils évolueront dans le nouveau cadre à définir... Je n’ai pas encore d’avis sur l’opportunité d’une 4e année. Pour l’instant ils sont conventionnés jusqu’en décembre de l’année qui suit leur sortie, faudrait-il pouvoir prolonger cette possibilité de stage jusqu’à la fin de l’année ?
Il y a dans l’école, spécialité Cinéma, une grande majorité de garçons. La proportion des filles qui présentent le concours est bien moindre. Est-ce l’aspect technique pour lequel l’école est reconnue qui les rebutent ?

Chef op’ de service
À Louis-Lumière, sans citer une longue lignée de chefs opérateurs, de cadreurs et de techniciens, il y a eu plus récemment Michel Coteret qui a laissé une empreinte forte et Arthur Cloquet qui a conçu l’enseignement du cadre et de la lumière.
Je me glisse dans la structure que ce dernier a définie mais je voudrais redéfinir moi-même mon rôle. Je dois faire 382 heures d’enseignement dans l’année, sachant que je veux continuer à faire mon métier, et qu’il est de l’intérêt de l’école d’avoir un professionnel de référence en activité, j’ai donc demandé contractuellement de pouvoir continuer à tourner. Ce qui veut dire ne pas être indispensable dans le fonctionnement.
Je me définis comme le "chef opérateur de service" !
D’autres que moi sont et seront présents, Yves Angelo est intervenu à l’école et anime cette année encore un atelier de 3e année. Je voudrais que des chefs opérateurs de générations différentes viennent à l’école. Il faut leur ouvrir l’école en grand !

L’apprentissage
Il faut que nous, chefs opérateurs, remettions la main sur les questions que pose la banalisation de l’image et de sa fabrication. Aujourd’hui, les étudiants qui arrivent à l’école peuvent être tentés de penser que l’image est tout de suite sur le moindre écran de plateau ou qu’elle se fabrique essentiellement en postproduction...
On est tous dans des questionnements, dans cette phase qui suit la "révolution numérique" de notre activité. Interrogeons-nous sur notre métier, donc sur la manière de l’enseigner.
La position que nous avons dans la production des films a changé. Je rapproche ça des innombrables écrans vidéo qu’il y a désormais sur le plateau. Avant, on voyait les rushes le lendemain, en projection il y avait un côté sacré, magique...

On peut prendre cet angle pour commencer, poser les bases des deux étapes à distinguer, pas forcément séparées et encore moins contradictoires, que sont la fabrication sur le plateau, avec son savoir-faire "traditionnel" et la postproduction numérique qui peut désormais tout recréer.
Quand on veut transmettre, il me semble qu’on parle de soi, il n’y a pas de vérité mais des choses à dire sur lesquelles les étudiants peuvent s’appuyer ou contredire. Je ne me prends pas pour un enseignant et j’arrive dans l’école avec cette idée : outre enseigner le plaisir à faire ce métier, qu’est-ce qu’un chef opérateur peut apporter ?
Je vais taper dans toutes les notions scientifiques, techniques, artistiques, historiques et philosophiques qui me passionnent… Notre métier est à la croisée de toutes ces questions. Ma présence à Louis-Lumière sera une occasion de creuser tout ça. C’est bon de le faire avec les étudiants, ça a un sens personnel, social, ça aura un sens sur l’esthétique de leur cinéma, sur leurs pratiques du cinéma... enfin je le souhaite.

L’historique
Pour moi, le métier de peintre est dans l’histoire celui qui se rapproche le plus du nôtre. Je ne dis pas que nos images doivent être des tableaux... l’œuvre, c’est le film bien sûr !
Cependant, peintre a été un métier qui combine à ce point art, science (que ce soit des pigments ou de l’anatomie), technique, géométrie, optique, etc.
On est au milieu de tout cela et c’est une matière idéale pour enseigner la pratique de notre métier.
Il faut parler d’image, beaucoup, voir des images, de toutes sortes, de tous styles et se constituer une "iconothèque"...
L’argentique est à la marge à l’école aujourd’hui mais on pourrait commencer par ça, la première chose à manipuler.

L’intérêt de parler de l’historique, de repartir de la "camera obscura", c’est que la peinture, la photographie et l’argentique ont leur place. Ça commence par un lexique, des champs sémantiques de chef opérateur qu’on peut utiliser pour décrire toutes sortes d’images... le contraste, le format, le mouvement, la couleur, saturée ou pas, le point de vue, la hauteur caméra…La liste est longue et chaque mot résonne comme un thème. 
Je ne crois pas être capable de dresser un tableau précis et complet d’un programme pédagogique, il y a des gens compétents à l’école pour le faire mais ce que j’aimerais, c’est que certains cours théoriques primordiaux soient faits sur le plateau. Par exemple, on fabrique une image sur le thème du contraste et on convoque la sensitométrie et l’optique.
L’école a la chance d’avoir deux enseignants de référence dans ces domaines, Alain Sarlat en sensitométrie et Pascal Martin en optique.
Le savoir-faire technique est important, c’est un outil de création dont une partie du cinéma français s’est parfois méfié. Louis-Lumière doit en être la référence.

Le numérique
Je n’avais jamais pris le temps de questionner les autres opérateurs, là je vais avoir l’occasion de le faire.
Qu’est-ce que le numérique ? Qu’est-ce que ça veut dire pour nous ? Qu’est ce qui a changé pour nous, concrètement, intimement... depuis la fin de la pellicule ?
Doit-on tout savoir du workflow ? Quelle liberté de choix doit-on garder là-dessus ? Jusqu’où savoir comment fonctionne un algorithme de compression de fichier numérique ?
Comment comprendre les raisons qui président à la technique des capteurs ?
Comment se figurer l’évolution à venir ?

Parlons de ça, à l’AFC et à l’école, avec qui aura des choses à dire sur ces questions, avec des professionnels concernés, par exemple nos membres associés. On doit avoir sur le sujet une compétence et une autorité, savoir faire des choix... RAW, ACES, HDR… en résonnance avec nos partis pris visuels et nos productions
Il y a des spécialistes qui peuvent nous parler d’algorithmes de compression de fichier, par exemple. Je ne sais pas comment exprimer ça du point de vue pédagogique mais il faut l’imaginer. Il me semble que ce qu’il faudrait faire à Louis-Lumière - combiné à la formation "traditionnelle" -, c’est mettre en œuvre une force de pensée, de compétence, du numérique articulée à la création artistique cinématographique.

La formation
La spécialité Cinéma axe la formation sur le métier de chef opérateur.
En ce moment, je suis sur le plateau avec les 2es années pour revoir les fondamentaux : trois feuilles de décor, de la lumière, des exercices de cadre et de point.
Je leur parle aussi de travailler avec les mains et le corps, de travail en équipe. Une partie de ce qui va passer à l’image vient de l’énergie du groupe. Comment choisir et diriger une équipe, on doit en parler à de futurs assistants ou chefs op’. Sur un plateau de cinéma, la plus grosse équipe, c’est l’équipe image.
Quand ils commencent, ils postulent souvent pour être assistants opérateurs et d’excellents assistants interviennent à l’école pour maintenir l’exigence de la formation. Étrangement, certains élèves disent vouloir "passer" par le métier de chef électro parce qu’ils s’intéressent plus à la lumière. Ils ne voient pas le passage d’assistant à chef comme une évidence. C’est symptomatique. C’est pour ça que je pense que l’ossature, c’est la formation de chef opérateur. Leur parler de peintres, de peinture et de cinéma, c’est affirmer la valeur du métier.
Être chef opérateur, cadreur ou directeur de la photo, c’est se poser là.

L’image de cinéma doit être désirée, pensée et faite dans tous ses aspects techniques et artistiques.

(Propos recueillis par Nathalie Durand, AFC, et Jean-Noël Ferragut, AFC)