Pascal Poucet, un véritable compagnon de route

Par Sébastien Lifshitz, cinéaste

Contre-Champ AFC n°321

A la suite du récent décès de Pascal Poucet, le réalisateur Sébastien Lifshitz, dont quatre des films ont été accompagnés à l’image par le directeur de la photographie, a fait parvenir à l’AFC un texte dans lequel il témoigne de quelques-unes des aventures de cinéma qu’ils ont vécues ensemble. Ils ont pu, au fil des années, partager les vicissitudes d’un tournage chaotique ou encore, par exemple, leur amour de la photographie américaine.

J’ai rencontré Pascal en 1995, je crois. Cela remonte à si longtemps que ma mémoire est un peu floue. Je cherchais à l’époque un chef opérateur pour Les Corps ouverts, que je préparais. J’avais repéré le travail de Pascal sur Ni d’Ève, ni d’Adam, de Jean-Paul Civeyrac, particulièrement sur la question de l’obscurité et des ombres qui semblaient ne pas lui faire peur. J’ai ensuite vu Dieu sait quoi, de Jean-Daniel Pollet où la photographie en lumière naturelle était somptueuse.
Pascal avait une vingtaine d’années de plus que moi et cette différence lui donnait d’emblée une sorte d’autorité qui rassurait tout le monde. Les Corps ouverts, était un film sous-financé avec une équipe qui vivait en grande partie sa première expérience de cinéma. Le tournage fut particulièrement bordélique tant on manquait de tout et particulièrement de temps pour tenir le plan de travail. Mais il y eut aussi de vrais moments de grâce.
Je me souviens aussi que Pascal ne fut jamais gêné dans les nombreuses séquences de sexe que contenait le scénario, bien au contraire, cette vie adolescente et homosexuelle que je racontais le touchait. Il était délicat et protecteur. Pendant la préparation du film, j’avais peur de me confronter à une équipe d’hommes un peu macho. J’ai découvert au contraire un groupe sensible et respectueux. Malgré un tournage chaotique, parcouru de toutes les maladresses d’un jeune réalisateur qui débutait, Pascal a accompagné le film du mieux qu’il a pu. Il m’a confié longtemps après qu’il fut très surpris du résultat final tant le souvenir chaotique du tournage lui avait laissé la certitude que le film souffrirait de tous nos ratages. Le montage avait heureusement fait des miracles en explosant la narration, oubliant le scénario, pour construire un récit poétique et fragmenté dont il se sentait proche.

Nous avons ensuite poursuivi notre collaboration sur trois autres films : Les Terres froides, Presque rien et La Traversée. Ce dernier tournage aux Etats-Unis nous a laissé un souvenir marquant. Nous ne faisions pas "seulement" un film au fin fond du Tennessee, nous vivions un moment important de la vie de Stéphane Bouquet, à la recherche de son père qu’il n’avait jamais connu. La Traversée est un road-movie documentaire à fleur de peau, où Pascal et moi avons pu partager notre amour de la photographie américaine, celle des grands coloristes comme William Eggleston ou Stephen Shore. Cette imagerie américaine venait croiser un récit personnel, sorte de journal intime autour d’une recherche douloureuse et presque impossible.
A l’époque, je tenais absolument à faire le film en 16 mm Scope et nous avions alors contacté Thierry Tronchet, sorte d’inventeur fou qui avait mis au point un hypergonar sur lequel on pouvait placer des optiques sphériques, le tout produisant une véritable image 16 mm anamorphosée. Le pari était risqué mais nous sommes partis avec tout l’équipement. Nous portions aussi avec nous un stock limité de pellicules Kodak. Il m’était impossible de tout filmer. Je devais faire des choix en permanence. Ça a été alors l’occasion de nombreuses discussions avec Pascal. Il fallait aller à l’essentiel, nous n’avions pas le choix. De ces quatre films que nous avons faits ensemble, Pascal fut un véritable compagnon de route. J’ai appris à faire des films à ses côtés. Je l’en remercie encore du fond du cœur.

En vignette de cet article, une image de La Traversée, de Sébastien Lifshitz, photographié par Pascal Poucet.